Jacques TSHIBWABWA-KUDITSHINI

sciences politiques et administratives, Université de Kinshasa (République Démocratique du Congo)

Chaire Région des Pays de la Loire

Discipline(s) : Sciences politiques

Pays : RDC

Période de résidence: octobre 2010 à juin 2011

Project de recherche:

"Mutations et visages renouvelés du "local" modelé par la conflictualité armée lucrative et la dynamique de la mondialisation: une approche anthropo-politique"

"La République Démocratique du Congo a la particularité d’être une société à la fois post-conflit et en proie à une dynamique de conflictualité et de conflictualisation très récurrente. Malgré la signature de l’Accord de Sun City qui a officiellement sanctionné la fin de la longue guerre de 1998 à 2002 et l’organisation des récentes élections qualifiées à tort de « démocratiques », la RDC post-élection et post-transition est une société encore déchirée et fragilisée par des micro-conflits.
C’est en effet en 1996 que l’Est de ce pays s’est trouvé en proie à un conflit armé déclenché par l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, AFDL en sigle, conduite par Laurent Désiré Kabila. Le point d’achèvement de cette insurrection fut la chute du régime monocentré et autoritaire du Maréchal-Président Mobutu, contraint de s’exiler au Maroc où il trouvera la mort deux mois plus tard. Le 2 août 1998, soit une année seulement après son installation, le régime de Kabila est en proie à une nouvelle guerre que lui imposent ses voisins orientaux (Rwanda, Burundi et Ouganda) soutenus bien sûr par des puissances occidentales et des sociétés multinationales. Des raisons sécuritaires sont évoquées pour justifier cette agression. Mais, comme lors du premier conflit armé, certains mouvements politico-militaires vont apparaître quelques jours plus tard, prétendant recourir aux armes pour combattre la dictature restaurée à Kinshasa par LD Kabila. Mais l’implication dans cette belligérance de certains pays de la SADEC venus au secours de son régime, empêchera les agresseurs et leurs rebelles de prendre la capitale. Dès lors, les rebelles vont camper sur leurs positions, contrôlant à peu près 60% du territoire national contre les 40 demeurés sous le contrôle du gouvernement de Kinshasa.


Au fil de temps, ces mouvements politico-militaires que nous avons qualifiés de « courtiers politiques » dans certaines de nos livraisons scientifiques, vont installer dans des provinces autogérées, des structures qui ressemblent à des « micro-Etats », administrant des territoires riches, pillant des ressources et fonctionnant avec des régimes politiques régis par des Statuts qui faisaient d’ailleurs office de Constitutions. Les animateurs de ces « micro-Etats » rebelles ont élaboré des législations, posé des actes réglementaires et juridictionnels ; ils se sont érigés en puissance publique et signé avec des investisseurs étrangers des contrats miniers et forestiers. Des « véritables régimes politiques » sous-tendus par des textes juridiques ont donc fonctionné dans ces provinces autogérées en lutte contre le pouvoir de Kinshasa, tous évoquant des nécessités démocratiques et des impératifs économiques comme justifiant leurs guerres.


Et pourtant, les ruptures et les transformations déclarées par les forces rebelles dissimulaient des continuités indéniables, les constances étant allées de pair avec des mutations comme le montre le fonctionnement de tous ces territoires et les formes politico-institutionnelles y installées, fortement marquées par le monolithisme du pouvoir. Dans le même ordre d’idées, les changements décoratifs ou cosmétiques d’institutions de façade ou de dénomination idéologique ne semblent pas avoir affecté la réalité du pouvoir dans sa logique et son agencement dans les espaces rebelles. Il faut, dans un autre registre, faire remarquer que pendant toute la période de guerre, les espaces politiques locaux rebelles sont restés prétorianisés. Loin d’être donc un régime de caractère exceptionnel et temporaire, ou une aberration institutionnelle, le pouvoir martial en RD CONGO apparaît clairement comme une norme.
Cette autogestion des entités territoriales locales rebelles qui fonde la pertinence de cette réflexion et sur laquelle nous allons revenir dans les lignes qui suivent, est encore occultée ou ignorée dans la littérature existante consacrée aux dynamiques de conflit armé en RDC depuis 1996. En effet, les enjeux identitaires, les problèmes fonciers, de pillages de ressources naturelles, d’instrumentalisation des ressources ethniques, mais aussi d’ordre géopolitique et ceux relatifs à l’intégration régionale ou à la recherche de leadership dans la sous-région des grands lacs sont encore placés au cœur des analyses et de toutes les transactions scientifiques actuelles.


Ce projet de recherche se propose de sortir des sentiers battus et se trace une autre trajectoire. Il fonde la dynamique de sa pertinence et de son cheminement réflexif sur l’analyse des entités locales qui ont finalement été les théâtres de toutes ces hostilités dont les dégâts environnementaux et humains (plus de trois millions de morts) sont souvent mis en relief. Il s’agit donc d’appréhender le local, à la fois dans sa dimension politique et administrative, mais tel qu’il a été et est encore modelé par les dynamiques sociales à l’œuvre en RDC et les différents frémissements et soubresauts sociopolitiques. C’est donc un « local conflictualisé », mieux encore travaillé de l’intérieur par la dynamique de conflictualité armée lucrative et présentant aujourd’hui un visage très ambigu, qui est en cause ici. Notre recherche se situe donc au cœur même de la période de conflit armé, entre 1998 et 2002.
Mais ce local conflictualisé est analysé en interaction avec la dynamique de la mondialisation qui le travaille du dehors. C’est donc un local à la fois modelé par les conflits armés c’est-à-dire par les faits de structures et les logiques des acteurs rebelles ayant administré les espaces locaux très riches pendant la guerre d’une part, d’autre part, c’est un local structuré par la logique des acteurs néo-libéraux de la mondialisation (essentiellement les sociétés multinationales étrangères, mais aussi le FMI et la banque mondiale) et par la dynamique territoriale de la mondialisation, qui est convoqué ici. L’interaction entre le local et le global est aujourd’hui une évidence partagée par plusieurs chercheurs. Dans un rapport publié en septembre 1999 par la Banque mondiale (cité par Leclerc-Olive 2001), on peut lire ce qui suit : les notions de mondialisation et de « localisation » constituent les deux phénomènes majeurs du XXIème siècle. Mais si toutes deux sont inévitables, si la mondialisation est considérée comme une tendance souhaitable, l’avenir de ce phénomène de « localisation », en revanche, reste très incertain : selon ce rapport, il peut révolutionner les perspectives en matière de développement humain, mais il peut aussi conduire au chaos et accroître la souffrance humaine."

Éléments biographiques :

Politologue et Chercheur, Jacques Tshibwabwa Kuditshini enseigne les Sciences Politiques et Administratives à la Faculté des Sciences Sociales à l’Université de Kinshasa (RDC) depuis 1997. Lauréat de plusieurs concours organisés par le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), il est également membre de plusieurs sociétés savantes. Ses plus récentes publications sont : "Gouvernance globale et administrations publiques locales congolaises" in Revue Internationales des Sciences Administratives, Juin 2007 et "Dynamique interculturelle, politiques étatiques et processus de mondialisation : regard sur les minorités autochtones pygmées", in Revue des Etudes interculturelles, Chair UNESCO de l’Université de Lyon, Février 2009, en collaboration avec Odimba Catherine. Il participe aux programmes de recherche suivants : Conflits armés et refondation de l’Etat en RDC (initié par le CODESRIA), Regard transversal sur les élections pluralistes en RDC (CODESRIA), Migrations internationales et gouvernance urbaine en Afrique (Chaires croisées entre l’Université de Witwatersrand (Johannesburg) et l’Institut Français d’Afrique du Sud (Johannesburg/France). Co-responsable, avec Catherine Odimba (pour la partie congolaise) du projet de recherche "Genre et conflits armés en Afrique", dont l’UMR CRESPPA-GTM de Paris est l’institution partenaire. Ses recherches actuelles portent sur les conflits armés dans la région des grands lacs, l’histoire politique contemporaine de la RDC, les questions liées aux processus de globalisation et celles relatives aux rapports sociaux de sexe. Il a participé à plusieurs colloques internationaux.  

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INTERVIEW DE JACQUES TSHIBWABWA PAR ALI EL KENZ
EURADIO NANTES (OCTOBRE 2010)