Au terme d’un cycle : la Grande Assemblée de l’Internationale des rivières

Au Lieu Unique, une Grande Assemblée s’est réunie le 29 novembre 2025 pour débattre d’une proposition de loi visant à reconnaître la Loire et son estuaire comme personnes juridiques. Ce moment fort marque l’aboutissement de trois années de travail du projet « Vers une Internationale des rivières », porté par Camille de Toledo, écrivain et membre associé de l’Institut d’études avancées. Chercheur·es, citoyen·nes, artistes et élu·es y ont exploré, dans un dialogue exigeant et sensible, ce que pourrait signifier faire place aux non-humains dans nos cadres juridiques, politiques et imaginaires.

©Anne-Marie Filaire
©Anne-Marie Filaire

© Anne-Marie Filaire

Quand le fleuve entre dans nos assemblées

« Un des objets de cette grande assemblée c’est aussi d’inventer d’autres formes de parlementarisme où l’on se met à l’écoute d’autres formes de vie qui ne parlent pas le même langage que nous. » C’est sur ces paroles que Camille de Toledo, écrivain et membre associé de l’institut d’études avancées, entame cette rencontre dédiée à débattre d’une loi proposant de donner à Loire et à son estuaire la personnalité juridique pour défendre leurs droits et leurs intérêts propres dans nos assemblées humaines.

Au terme de trois ans de travail, c’est ainsi que se conclut ce premier cycle du projet « vers une internationale des rivières » qui a conduit le conseil des témoins, douze citoyens de Nantes et sa région, à auditionner des chercheuses et chercheurs de toutes disciplines avec Camille de Toledo, à enquêter sur leurs attachements au fleuve et à la nature sous la caméra de Camille de Chenay, réalisatrice, à traverser sur le temps long cette proposition d’une métamorphose du monde où des entités naturelles passeraient du statut d’objet à celui de sujet. Au point de se laisser transformer par elle et de co-écrire deux propositions de loi qui ont été remises le 30 avril à l’Assemblée Nationale à trois députés dont Charles Fournier qui a pris la parole en début de rencontre. 

©PaquitoCouet

© Paquito Couet

Sous le regard des non-humains

L’émotion est perceptible dans leurs témoignages qui ponctuent nos débats soutenus avec tout le public réuni ce jour là au Lieu Unique, pour commenter chaque article, défendre une rédaction plus précise, s’interroger sur les concepts…

Loire doit-elle aussi avoir des devoirs ? Faut-il considérer que les liens humains à l’écosystème Loire sont inclus dans la définition de son périmètre, de son corps ? Et si l’on reconnaît Loire comme une personne, nous pourrions ainsi lui verser des revenus issus de l’exploitation de sa force de travail pour nos activités humaines. Ses nouveaux moyens financiers seraient d’ailleurs nécessaires à défendre en justice ses nouveaux droits .

Le public souvent engagé dans des associations ou simples curieux, tout comme les intervenants : juristes, hydrologues, anthropologue, géo-chimiste, élus du territoire apportent leurs points de vue dans un dialogue apaisé, pas toujours consensuel, mais très respectueux de tous les avis exprimés. Est-ce l’écoute de Loire que Ronan Moinet, artiste et preneur des sons du fleuve, nous donne à entendre entre chaque séquence qui nous oblige… nous engage à débattre avec sérieux sous le regard des non humains ?  C’est aussi cette invitation à nous mettre au cœur de leur attention qu’a imaginée Fabien Leduc et le collectif MONsTR avec l’exposition à parcourir dans notre « salle des pas perdus » avant d’entrer dans notre assemblée.

© Anne-Marie Filaire

© Anne-Marie Filaire

Continuer à faire voix

« De quelle science doit-on s’entourer dans notre école du décentrement ? » nous demande Laurent Devisme, un des témoins, et enseignant chercheur. Il nous rappelle aussi ce nous a dit Marie-Angèle Hermitte, juriste engagée dans le projet, « Dans l’articulation des droits, il y a toujours des perdants ». Dans le silence et l’écoute des sons de l’estuaire, notre imagination fait le reste du chemin pour identifier ces oubliés de notre droit et ce que les conquêtes à venir comme celles du passé ont généré comme promesse : les droits des femmes, des enfants, des minorités, des personnes racisées a mentionné Maria Fernanda Garcia, maraîchère et membre du conseil. Des luttes portées par des collectifs d'hommes et de femmes (SOS Loire Vivante, la ZAD du Carnet) et dont Loire a aussi a été le sujet contre la construction de barrages, de centrales, de parc technologique qui l’auraient corseté un peu plus qu’elle ne l’est déjà.

Nous invitant à une réflexion sur la polysémie du mot « travail », celui qui nous aliène, comme celui des fleuves que nous exploitons pour produire l’électricité, Valentine Porcile nous partage aussi celui de la vie, ayant vécu l’expérience de devenir mère durant ce processus, comme celui du deuil que nous devrons collectivement faire, face à une société et un monde qui se transforment si vite ; documenter ce qui disparaît sous nos yeux et que nous devrons préserver malgré tout.

Loire aura encore besoin de nous pour la défendre, nous rappelle Cecilia Nicolas, si touchée par tous ces collectifs qui émergent en France et dans le monde pour rejoindre le mouvement des droits de la nature et que nous avons rencontré lors du second temps fort.

Alors il reste à transmettre, comme elle va le faire avec des collégiens et lycéens dans le cadre d’un projet expérimental soutenu par le rectorat, ou comme Annie Touranchet avec ses petits-enfants ou dans les ateliers « lois à venir » que nous avons conçus pour partager sur ces lois à l’invitation de collectifs.

Nous finissons comme nous avons débuté sous le regard des non-humains, Violaine Lochu, artiste, chanteuse et performeuse, ayant collecté le chant d’oiseaux lors de marche en Laponie, nous propose une réponse nécessairement hybride accompagnée par son accordéon. Elle nous en-voix !

🎥 À venir prochainement

Deux vidéos issues de ce temps fort seront diffusées très prochainement. Elles seront accessibles sur la chaîne YouTube de l’Institut, ainsi que sur le site internet de l’Institut, dans la rubrique dédiée au projet, dès leur mise en ligne.

Fichier vidéo

 

Cette vidéo immersive prolonge l’expérience de l’exposition en invitant à ralentir, écouter et se laisser traverser par d’autres présences. Sons, images et matières composent un espace d’attention partagé, où le regard humain se décale pour faire place aux voix du fleuve et du vivant. Une invitation à entrer dans l’assemblée autrement, depuis le point de vue des non-humains.