Atelier
20 février 2014
Nouvelle

Atelier "Des corps et des lieux"

le 20 février 2014

Cet atelier, organisé par Danouta LIBERSKI-BAGNOUD, Membre associée de l’IEA de Nantes, réunissait des ethnologues, historiens et philosophes de différents horizons autour de la question des corps et des lieux.

Qu’elle soit fonctionnaliste, structurale ou cognitiviste, l’anthropologie butte généralement sur la question du corps, car elle fait de celui-ci un donné universel de l’expérience. Pour un structuraliste, la référence au corps dans les mythes et dans les rites est traitée comme une référence parmi d’autres : il y aurait un code anatomique, physiologique comme il y a un code astronomique, culinaire, etc. Une tendance similaire se donne à lire dans les écrits du courant fonctionnaliste.

Ces approches manquent, selon nous, de faire une distinction essentielle, à savoir que ce qui surgit à la naissance, ce n’est pas un corps, mais un organisme : le corps, c’est le langage qui le décerne, le cerne et l’isole du reste, (J. Lacan, J. Oury), dans le même mouvement où il attribue une place dans la syntaxe et confère une précieuse quoiqu’illusoire unité à l’infans sous l’espèce du « tu » et, plus tard, sous celle du « je », pour le sujet parlant (E. Benveniste). Les sociétés qu’étudie l’ethnologue, en Afrique tout particulièrement, en savent quelque chose : ce sont les rituels qui président à la naissance d’un nouvel être — et singulièrement ceux liés au traitement du délivre — qui feront de lui un être du village, rituellement construit comme corps séparé (du double placentaire avec lequel il formait un même organisme), unique (les corps gémellaires posent de redoutables questions), et stabilisé dans l’espace grâce à l’enfouissement du placenta en un lieu précis de l’enclos domestique, qui devient ainsi l’un des lieux du corps de celui ou celle qui est voué à vivre une vie d’être du village.

Il s’agit moins d’abonder une recherche d’anthropologie historique sur “le corps” que d’interroger de manière comparative, à travers le temps et l’espace, les montages de représentations, de discours, et d’actes qui donnent forme à cette intrication des lieux et des corps décernés par la langue. Prenant appui sur les développements de Pierre Legendre quant à la dimension de théâtralité inhérente au langage, qui transforme le monde en une scène et le soi en une création théâtrale (persona, mot latin, signifie déguisement, apparence extérieure, et parfois encore, plus spécifiquement, le Masque), il s’agira d’éclairer les règles spécifiques du théâtre rituel, les espaces qu’il met en jeu, les scènes qu’il monte dans lequel les hommes des sociétés pré modernes peuvent se reconnaître comme corps et grâce auquel ils ne peuvent ignorer que la personne est un masque, une fiction langagière autant qu’une fiction sociale — à la différence des rejetons des sociétés modernes, façonnés dans la dernière réorganisation en date de ce théâtre, à savoir celle de la théologie chrétienne, qui du masque fait la réalité, de la persona, homme revêtu d’un état passe à la notion de personnalité comme soi véritable (cf. Mauss, La notion de personne, 1938).

 

Intervenants

Tatiana BULGAKOVA, Professeur en ethnologie à l’Université Fédérale Herzen (Russie), Membre résidente de l’IEA de Nantes, promotion 2012-2013

Barbara DUDEN, Professeur émérite de sociologie de l’Université Leibniz de Hanovre (Allemagne), Membre résidente de l’IEA de Nantes, promotion 2012-2013

Odile JOURNET-DIALLO, Directrice d’études en ethnologie à l’EPHE

Samuel JUBE, Directeur de l’IEA de Nantes

Danouta LIBERSKI-BAGNOUD, Directrice de recherche CNRS en ethnologie, Membre Associée de l’IEA de Nantes

Gérard MINAUD, Historien de la comptabilité, historien du Droit et des Institutions, chercheur indépendant, Membre résident de l’IEA de Nantes, promotion 2012-2013

Luis MORA-RODRIGUEZ, Philosophe, Professeur associé, Université du Costa Rica, Membre résident de l’IEA de Nantes, promotion 2013-2014

AbdarahmaneN’GAIDE, Historien à l’Université Cheikh Anta Diop (Sénégal), Membre résident de l’IEA de Nantes, promotion 2013-2014

 

Illustration : Le théâtre du soi en régime polythéiste. Le père sacrifie au tambour royal, instance élective prénatale de son fils aîné, afin que ce dernier, tel l’instrument à percussion que l’on fait résonner, attire les foules par sa renommée (Kaya, Burkina Faso, photo D. Liberski).