16 avril 2013
Conférence

Conférence de Augustin Berque, directeur d’études à l’EHESS, intitulée "Humaniser la nature, naturaliser l’humain, aujourd’hui" le mardi 16 avril 2013 à 18h00 à l’amphithéâtre Simone Weil

" Cette formule d’inspiration marxienne – elle descend d’un thème des Manuscrits de 1844 : « Naturalisierung des Menschen, Humanisierung der Natur » (naturalisation de l’humain, humanisation de la nature) – veut exprimer une triple urgence. Celle, d’abord, de recosmiser notre existence, car          l’exaltation du sujet individuel moderne a entraîné une décosmisation qui à terme est mortelle, aucun être ne pouvant vivre sans un monde commun (kosmos). Celle, ensuite, de reconcrétiser les mots et les choses,en les remettant dans le fil de leur histoire commune (leur croître-ensemble : concrescence); car l’arrêt sur objet propre à la modernité aboutit à dépouiller les choses de leur sens, faisant notamment du langage une aporie. Enfin,celle de réembrayer la nature et la culture, en passant nécessairement par la question du rapport entre histoire et subjectivité, ce à tous les degrés de l’être, allant, par l’évolution, de la vie la plus primitive jusqu’à la conscience la plus humaine.  Recosmiser, reconcrétiser, réembrayer : devant ces trois urgences, la pensée occidentale est aujourd’hui plombée par ce qui hier a fait sa force : la structure mère sujet-verbe-complément, qui à partir de la langue a orienté notre logique (avec le modèle sujet-prédicat), notre métaphysique (avec l’identité de l’être) et de là notre science (avec l’en-soi de l’objet), toutes fondées sur le double principe d’identité et de tiers exclu, c’est-à-dire sur la forclusion du symbolique. Des exemples tels que la langue japonaise, dont la structure mère était d’un autre genre, ou que le tétralemme développé par les penseurs indiens, qui inclut systématiquement le tiers, nous montrent la voie : dépasser les apories de la modernité ne se fera pas sans l’appoint, logique et ontologique à la fois, des grandes civilisations de l’Asie. On ambitionne ainsi de faire mentir le fameux adage de Kipling, Oh, East is East, and West is West, and never the twain shall meet."  

Augustin Berque

Augustin Berque, né en 1942, est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Géographe, orientaliste, philosophe, il est l’auteur de nombreux ouvrages concernant la relation des sociétés humaines et plus largement des êtres vivants à leur environnement, ce dont il a fait l’objet d’une mésologie héritière de l’Umweltlehre d’Uexküll et de la fûdogaku de Watsuji. Membre de l’Académie européenne, il a été en 2009 le premier occidental à recevoir le Grand Prix de Fukuoka pour les cultures d’Asie.
Parmi ses ouvrages: Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature (Gallimard, 1986) ; Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains (Belin, 2000) ; Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident (Le Félin, 2010) ; Thinking through landscape (Routledge, 2013).

Cet événement est organisé à l’occasion de Nantes Capitale Verte de l’Europe en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin.