Pierre Sonigo : mieux comprendre le COVID-19
03 avril 2020
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Pierre Sonigo : mieux comprendre le COVID-19

J’ai regroupé ici les réponses aux questions qui me sont souvent posées. Même si on n’a aucune certitude au sujet de ce nouveau virus, on peut mieux le comprendre à l’aide des connaissances générales de virologie, accumulées sur les autres infections virales.
Les tests de présence virale peuvent-ils efficacement protéger la population ?
La question de la pénurie de tests est un sujet complexe où il n’est pas uniquement question de passer des commandes à temps. Il faut certes des kits de PCR, mais aussi des kits d’extraction, des instruments et des écouvillons. Cela concerne toute une chaîne d’acteurs, la place des industries de santé nationales, les relations public-privé, le poids des normes et des réglementations qui freinent la commercialisation des résultats des recherches ou les autorisations des laboratoires d’analyse à recevoir des patients COVID-19 ou à analyser des prélèvements en toute sécurité. Ce dernier blocage vient d’être levé par le ministère de la santé.
Ensuite, il faut rappeler qu’en cas d’infection, les tests actuels (PCR) qui détectent la présence du virus donnent un « instantané » d’une situation qui change rapidement. En cas d’épidémie active et sans protection stricte, on peut avoir un test négatif un jour et se contaminer le lendemain. Inversement, on peut avoir un test négatif alors qu’il était positif auparavant, puisque les tests se négativent au plus tard deux à trois semaines après la guérison, et sans doute bien avant dans la plupart des cas. De plus, pratiqués à grande échelle sur un prélèvement rhino-pharyngé par voie nasale, les tests peuvent passer à côté du virus, parce que ce dernier est peu abondant en dehors du poumon ou que le prélèvement n’a pas été correctement effectué.
En conséquence, les tests sont très utiles, mais ils ne constituent pas une barrière de protection absolue pour contenir l’épidémie. Une stratégie d’isolement ciblé des porteurs identifiés par test de PCR nécessiterait des tests fréquents et répétés pour suivre la dynamique de l’épidémie. C’est possible au tout début pour suivre les chaines de transmission, mais quand l’épidémie est lancée, cela devient intenable, tant les choses évoluent rapidement.
Cependant, il est alors possible de tracer les infections guéries, même tardivement, par des tests qui ne mesurent pas le virus directement, mais les anticorps que l’organisme produit en réponse à l’infection. On parle alors de tests sérologiques. Le résultat positif d’un tel test est appelé séropositivité.
Les tests sérologiques pourraient donc permettre de savoir si on est immunisé à la suite d’une infection guérie. Mais la positivité de ces tests (séropositivité) ne signifie-t-elle pas que l’on est toujours infecté et contagieux, comme pour le sida ?
Le cas du sida est plutôt l’exception que la règle. Dans le cas du sida, typique des infections virales chroniques, la réponse immunitaire est inefficace. On ne guérit pas spontanément de l’infection, le virus persiste en même temps que les anticorps qui définissent la séropositivité.
Au contraire, dans une infection virale aiguë, comme la grippe ou le COVID-19, tout est différent. L’apparition des anticorps produits par la réponse immunitaire de l’hôte accompagne la disparition du virus et la guérison. Le virus disparaît ou est en quantité trop faible pour être contagieux. Dans les infections virales aiguës, la séropositivité correspond donc bien à la guérison et à la protection.
Qu’est ce qu’un virus ? Quel est l’intérêt pour le virus de tuer son hôte ?
Je vois les virus comme un ballet de cristaux qui grandissent, s’intriquent, se combinent puis se détachent pour reprendre leur croissance ailleurs dans notre corps ou dans le corps d’un autre. On peut les voir plus classiquement comme des machines à se copier eux même. Bien sûr on ne peut pas proprement parler d’intérêt du virus. Mais il se trouve que si la propagation s’arrête, l’affaire est finie, on n’en parle plus : les virus qui se propagent efficacement sont bien ceux qui nous préoccupent. On a du mal à croire qu’ils ne le font pas exprès avec une stratégie machiavélique et il est plus facile de les décrire en parlant de leur intérêt !
Le coronavirus peut tuer son hôte ou être éliminé par la réponse immune de son hôte ce qui fait une grosse différence pour l’hôte mais revient au même pour lui ! Dans les deux cas, avant que ça arrive, il faut qu’il ait trouvé un nouvel hôte. Donc un virus qui tue vite ou qui est rapidement éliminé doit être très contagieux pour ne pas disparaître. La contagiosité est favorisée par une multiplication rapide, particulièrement dans les voies aériennes supérieures. C’est cette stratégie virale de la terre brûlée qui correspond à ce qu’on appelle infection virale aiguë.
Sinon, le virus doit savoir attendre sagement dans son hôte, sans le tuer trop vite et en se multipliant moins pour ne pas trop activer la réponse immune. C’est ce que fait le virus du sida par exemple et qui est l’exemple typique ce que l’on appelle infection virale chronique.
Y a t-il des porteurs sains du coronavirus ?
Dans le schéma classique de l’infection virale aiguë comme la grippe ou le COVID-19, la maladie et sa transmission résultent d’un équilibre entre la production de virus et l’intensité de la réponse immune. Autrement dit, les malades les plus graves sont ceux où le virus est le plus abondant, ce sont aussi les plus contagieux et ceux qui ont la plus faible sécrétion d’anticorps. Inversement, les malades les moins graves ont plus d’anticorps et moins de virus et sont moins contagieux.
Il serait donc surprenant qu’il y ait des porteurs à la fois sains et contagieux, même si cela existe pour d’autres infections. Toutefois, certaines personnes présentent des infections bénignes quasiment inapparentes. Mais ce n’est pas exactement ce qu’on appelle des porteurs sains parce que l’infection est transitoire et s’accompagne d’une réponse immunitaire efficace. N’oublions pas que la contagion nécessite des quantités virales suffisamment élevées et la production d’aérosols par la toux. Bien sûr, en présence de virus, le risque de transmission n’est pas de zéro et les infections asymptomatiques peuvent participer à la diffusion. Mais pour toute personne présentant peu de symptômes, pas de toux, et une charge infectieuse basse, la transmission est beaucoup moins efficace. En période de circulation active du virus et quoi qu’il en soit en attendant d’en savoir plus, symptômes ou pas, le respect des gestes barrières reste essentiel.
Si de manière surprenante, il existe des cas de portage sain de longue durée sans réponse immunitaire, comme cela survient fréquemment par exemple pour le virus de l’hépatite B, on va vite s’en apercevoir. Mais, une fois encore, ce ne sont pas les informations qui remontent actuellement.
Et les enfants ?
Les données montrent que les enfants sont épargnés par les formes graves, mais aussi qu’ils sont moins souvent porteurs du virus. Comme nous l’avons vu ci-dessus, cela correspond au schéma classique de l’infection virale aiguë : moins de virus égale moins de symptômes et moins de gravité. Donc l’idée que ce sont les enfants, donc la partie de la population la moins malade, qui serait la plus contagieuse est paradoxale et reste donc à vérifier.
Pourquoi les enfants sont-ils protégés ?
Aucune certitude mais l’hypothèse la plus probable est qu’ils sont immunisés. S’ils sont immunisés efficacement c’est probablement du fait de contacts récents et multiples avec les coronavirus endémiques qui provoquent en France rhumes, syndromes grippaux ou encore les gastroentérites virales, fréquentes chez les enfants. Cela confirmerait que les coronavirus endémiques circulent activement dans notre pays. Il faut dire qu’ils sont rarement recherchés dans le cadre des maladies virales communes que nous rencontrons si souvent. S’ils circulent autant, on peut aussi imaginer qu’ils sont responsables d’une partie significative de notre surmortalité hivernale, généralement attribuée à la grippe. Ce pourrait-il que les coronavirus soient déjà responsables d’une partie des dix mille décès hivernaux que nous attribuons à la grippe depuis des années ? C’est fort probable. Les recherches sur le sujet, qui ne manqueront pas de se déployer dans les prochaines années, pourront confirmer ou infirmer cette hypothèse.
Si les coronavirus sont fréquents en France et provoquent des maladies bénignes, pourquoi le nouveau variant SARS-CoV-2 est-il si dangereux ?
Pour simplifier, on peut dire que la gravité spectaculaire de l’infection par ce coronavirus émergent est plutôt due à la faible immunité préalable de la population qu’à des caractéristiques particulières du virus. SARS-CoV-2 est en effet ce qu’on peut appeler un « grand » variant trop différent des coronavirus précédemment rencontrés par la population. Il ressemble de loin à ses cousins présents depuis longtemps en France, dont plusieurs types ont été décrits. Mais cette ressemblance est trop faible pour que l’immunité acquise contre les coronavirus endémiques parvienne à protéger les personnes qui ont une immunité trop faible ou trop ancienne. C’est la même situation qu’avec la grippe H1N1 qui n’avait jamais circulé en France.
L’immunité baisse avec le temps, c’est pour cela qu’on effectue des rappels avec les vaccins. C’est aussi ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, que les sujets les plus âgés sont les plus sensibles. L’augmentation de la sévérité avec l’âge ne traduirait donc pas seulement la fragilité des sujets plus âgés, mais aussi la perte de l’immunité acquise dans l’enfance avec les coronavirus endémiques. De la même manière, on peut proposer que les enfants sont les mieux protégés parce qu’ils ont eu, avec les coronavirus endémiques des contacts plus récents et présentent de ce fait une réponse immune plus forte. Cela correspondrait à des schémas d’immunologie anti-virale classiques, mais doit être confirmé pour ce nouveau virus qu’on connait mal.
Par rapport à la controverse "le COVID-19 est-il une simple grippe ?", on peut donc répondre "seulement pour ceux qui ont une immunité préexistante assez solide ! " et ce n’est malheureusement pas le cas de 20% de la population !
On peut espérer que quand la population sera immunisée, du fait des infections et de la vaccination, il deviendra une "simple" grippe. Rappelons toutefois que la « simple » grippe reste bien dangereuse et qu’il est important de se protéger et de protéger les autres par la vaccination et les gestes barrières. Espérons que la pandémie actuelle nous apprendra à ne pas sortir quand on est fiévreux ou enrhumé et qu’il est interdit de tousser ailleurs que dans un tissu ou dans un masque, notamment dans un endroit densément peuplé. Un maigre prix à payer pour permettre à nos chers bars et restaurants, salles de concerts, cinémas, etc. de rouvrir au plus vite et sans arrière-pensée.
Les antiviraux sont très efficaces pour le sida, peut-on espérer les mêmes succès avec le COVID-19 ?
Cela n’est pas le cas de manière générale : dans les infections virales aiguës (grippe, polio, rage par exemple), les antiviraux n’ont pas un rôle central, contrairement à ce qui se passe dans les infections virales chroniques (hépatites, sida, herpès). En effet, dans une infection virale aiguë, tout va très vite. Cela pose problème pour l’utilisation des tests (voir ci-dessus) mais aussi celle des antiviraux. Le virus se multiplie en quelques jours. Ensuite, soit l’immunité l’élimine, soit les complications surviennent. Du coup, les antiviraux sont délicats à utiliser en pratique : pour qu’ils soient vraiment utiles, il faut les administrer très vite. Pour cela il faut déjà connaitre le virus en cause, car les antiviraux sont spécifiques. Si on traite au tout début, avant que les symptômes n’évoluent, il faudrait idéalement aussi être sûr que cela en vaut la peine, notamment quand il y a des effets secondaires, sachant que la majorité des patients guérissent sans traitement. Bien sur, dans l’attente des vaccins et d’une protection large de la population, un antiviral efficace serait un grand soulagement. Les recherches sur le VIH ont permis d’élargir incroyablement notre panoplie de molécules candidates.
En attendant les vaccins, une autre solution intéressante serait la vieille méthode utilisée contre la rage (sérothérapie passive): injecter le sérum de personnes guéries ou des anticorps antiviraux capables de bien neutraliser le virus. Réservé aux cas les plus graves, des essais ont été pratiqués avec des résultats encourageants. A suivre.
Et les vaccins ?
Lorsque la plupart des personnes infectées guérissent spontanément, c’est que la réponse immunitaire fonctionne bien contre ce virus. On peut anticiper que les vaccins seront relativement faciles à concevoir et seront efficaces : c’est l’approche la meilleure en termes de santé publique. Toutefois, il faudra patienter que l’on puisse garantir la sécurité d’un produit destiné à être injecté à des millions de personnes en bonne santé.
Et à très court terme, tout de suite et dans l’urgence ?
En cette période de confinement, je vous invite à relire les aventures de Lucky Luke dans l’élixir du docteur Doxey écrit par Morris en 1955, au sujet des « huiles de serpent » miraculeuses de l’ouest américain. Ou plus dramatiquement, l’histoire de l’AL721, antiviral miracle extrait du beurre de cacahuète que tout le monde s’arrachait en 1987, parce qu’il n’y avait malheureusement rien d’autre pour soigner le sida. Ces histoires anciennes rappellent qu’une situation extrêmement anxiogène, où la menace mortelle est ressentie ou vécue, est un terrain favorable à l’éclosion de manipulateurs en tous genres qui exploitent leur autorité ou les peurs de leurs interlocuteurs pour construire pouvoir et gloire, ou s’enrichir. Ils excellent dans le mensonge, difficile à démonter parce qu’il mêle le vrai et le faux dans un nuage de fumée, retournent la charge de la preuve vers leurs détracteurs ou osent affirmer les pires énormités, car il n’est pire mensonge que celui qui correspond à ce que tout le monde souhaite entendre. Les réseaux sociaux et le partage large d’informations, qui n’existaient pas dans le Far West, ni même en 1987, peuvent amplifier terriblement le phénomène. Je rêve évidemment d’avoir tort et que le remède miracle soit rapidement identifié. Mais je ne crois pas aux miracles. Sauf aux vrais miracles, bien sûr.
Le virus peut-il disparaître, lorsqu’il contamine un objet inerte ? Ou lorsque l’été arrive ?
Je dirais qu’il se dessèche ou quelque chose comme ça. Il ressemble à un beignet fourré microscopique avec des protéines, des lipides et du sucre. S’il n’est pas à la bonne température et humidité ses composants se détachent les uns des autres. Les données de laboratoire quant à la température et humidité favorables aux coronavirus ne sont pas univoques. Certains ont même invoqué l’effet désinfectant des rayons ultraviolets des beaux jours.
On observe clairement sous nos latitudes que la grippe fait une pause estivale. On peut parier que ce sera le cas du coronavirus. Mais on n’en comprend pas bien les raisons. Est ce un effet sur le virus ou sur la résistance de son hôte ? Par temps chaud et sec, il est possible que nos voies respiratoires soient plus résistantes, que les aérosols nécessaires à la contagion soient beaucoup plus instables ou la multiplication virale moins efficace. Cela peut grandement aider, mais ce n’est pas une certitude ni une barrière absolue.
Comment sortir du confinement ?
Question d’épidémiologie bien difficile. L’exemple de la Chine pourrait nous guider. Les critères seront évidemment les chiffres épidémiologiques, en espérant que la pause estivale classique sous nos latitudes sera respectée par le nouveau virus, la possibilité de respecter les règles de distanciation sociale et les informations issues des campagnes de tests combinant la sérologie et la pcr.
Il y a ici une ambiguïté à lever sur le rôle des tests dans la sortie du confinement. Serviront-ils de laisser-passer individuel pour sortir du confinement ? Il faudrait dans ce cas tester tout le monde et ce n’est pas si simple. Nous ne sommes pas dans la situation du sida, où le portage est long et où la protection individuelle efficace est possible. Comme indiqué plus haut, la négativité de la PCR sur prélèvement par voie nasale n’est pas une indication fiable pour protéger ses contacts.
De plus, tester tout le monde va prendre du temps. En plus des points de blocage déjà exposés, il faut que les tests soient disponibles aussi sur les machines de laboratoires automatiques à haut débit. C’est le cas aux Etats Unis où des procédures d’enregistrement urgentes ont été appliquées par la FDA. Pour la sérologie, il reste aussi à préciser les résultats de dosage (quantité ou qualité des anticorps dosés) qui garantissent vraiment la protection.
A court terme, les tests serviront avant tout à avoir une meilleure vision de l’épidémie, de la présence du virus et de l’immunité dans la population. Dans ce cas, un échantillon représentatif de la population suffirait à éclairer les décisions nationales et à déclencher l’assouplissement des mesures actuellement appliquées. A l’issue des campagnes de tests qui sont déjà lancées, le pourcentage de personnes infectées ou immunisées sera une surprise bonne ou mauvaise qui va conditionner les modalités de sortie du confinement...