Mardi 31 mars 2009 - Conférence
16 mars 2009
Conférence

Mardi 31 mars 2009 - Conférence " Des millions de gouttes d’eau: la conservation de l’eau au Rajasthan " par Anupam Mishra

« Aucune société ne peut perdurer sans considération pour son environnement. Elles doivent s’adapter constamment en fonction de la disponibilité des ressources naturelles comme l’eau, les forêts et la terre. Ainsi, les sociétés doivent aller au-delà des aspects technologiques et façonner les mécanismes socioculturels, qui doivent laisser placer à la religion. Grâce à cela leur structure deviendra plus forte pour subvenir aux besoins des innombrables membres de la société, des milliers de villages et communes. Seulement après, la société pourra envisager la préservation de sa terre, de son eau et de ses forêts. On ne doit pas laisser ces techniques de survie dans les seules mains des « techniciens » et « forestiers ». Ce savoir-faire, essentiel pour la prospérité a été transmis au peuple. Ces sociétés ont intégré ces techniques dans la vie culturelle de ces populations caractérisées par la joie de vivre et le rythme de la vie quotidienne, où les savoir-faire deviennent savoir-vivre. Quand cela est mis en place, ce savoir–faire devient la structure qui au-delà du temps et de l’espace maintient l’âme de ces institutions sociales. Ces institutions dynamiques n’ont pas besoin de quartiers généraux, de budgets annuels ou de projets. Elles font partie intégrante de la mémoire collective des individus. Quand une société se projette dans des travaux d’une telle ampleur, son programme ne peut pas être réduit à un plan quinquennal, ou décennal comme ceux suivis par la plupart de nos gouvernements et les organisations non-gouvernementales. Pour de si longues échéances, les techniques ne dépendent plus des manuels. Elles font partie de la vie de chaque individu de la société, traversant la barrière des castes, des classes et des genres. Chaque membre contribue au système socioculturel en fonction de ses capacités. De nombreuses différences séparent la culture et les technologies. Toutes les instances gouvernementales et les ONG dans chacun de leurs projets impliquant le développement durable de l’eau dépendent d’études élaborées, de « A-frames », de théodolites et d’autres techniques dont les noms sont difficiles creusent un fossé entre les agences et les bénéficiaires. Même si le projet semble réussi, il détruit l’esprit d’indépendance et de confiance en soi des populations.

Tous les gouvernements, les institutions et les agences font face aujourd’hui à des coupes sombres dans leurs budgets. Les subventions dont dépendent ces projets sont trop élevées, y compris pour les organisations importantes telle que la Banque Mondiale. D’où viendra alors la volonté d’entreprendre des travaux d’une telle importance ? Cela viendra seulement en restaurant la confiance en nos institutions sociales, en reconnaissant leurs forces et le bien-fondé de leurs riches expériences. Au lieu de considérer qu’une grande partie de la population est illettrée, pauvre et vulnérable, nous devons rétablir la confiance en soi et à retenir. Je crois que les projets de développement durable, même pavés d’honnêtes intentions, leur rendre leur identité perdue. Ces propositions peuvent s’illustrer par l’exemple des régions aride et semi aride du désert Thar situé au Rajasthan.

Le moins qu’on puisse dire est que la géographie du Rajasthan ne facilite pas la situation. D’abord il semble que sur ce pays le soleil ne se couche jamais. Les ouvrages de géographie présentent la région comme chaude et aride. Les températures atteignent 50° C en été, l’eau devient un bien rare. Il faut ajouter à ce sombre tableau que les nappes phréatiques sont peu nombreuses, généralement exploitables à plus de 300 ou 400 mètres de profondeur. Elles sont en plus salées. Le Rajasthan est pourtant une région bénie, la population a su développer et protéger ses traditions riches et variées et a su développer la collecte des eaux de pluie et la gestion de l’eau pour répondre à tous ses besoins. A tel point que la bénédiction divine est devenue le symbole de l’ingéniosité, du talent et des compétences d’un peuple qui ne peut se permettre de gaspiller la moindre goutte d’eau. Nous comptons aujourd’hui 515 villages sur le district de Jaisalmer, dont 462 sont peuplés contre 53 désertés. Sauf pour un seul, les 514 restants ont des preuves de ressources en eau. Selon un rapport d’état, 99.78% des villages de Jaisalmer avaient leurs propres ressources en eau (puits, baories, tankas, talabs, et les kuiyas). En contraste avec les données basiques et leur interprétation, il existe d’autres indicateurs économiques et sociaux de développement dont les chiffres sont loin d’être satisfaisants. Le même rapport d’état indique que sur les 515 villages, seulement 1% sont accessibles par des routes modernes, les services de postes et télécommunications sont installés chez seulement 30% d’entre eux, les services médicaux ne couvrent que 9% des besoins et l’électricité n’atteint que 4.5% des villages. Pourtant, environ 99.78% des villages ont des ressources en eau potable suffisantes, toutes ont été planifiées, financées et entretenues par les populations, et non par le gouvernement ou les organisations non gouvernementales. Les populations de ces terres arides ont mis en place des institutions de protection des forêts très complètes. Celles-ci sont nommées « orans ». L’origine de ce nom vient du terme sanskrit « aranya », qui signifie une forêt. Il faut souligner que l’institution « oran » est omniprésente dans cette zone aride. La forêt sacrée est liée au temple du village et est gérée par les prêtres, et non par les forestiers. Aucun fils de fer barbelés, aucuns murs ou fossés ne la protègent. Parfois étendues sur plusieurs centaines d’hectares, ces forêts sont protégées par les barrières sociales des villageois, des fidèles du temple qui respectent les règles strictes de préservation. Ces forêts sont considérées comme des réserves, il est interdit de prélever ne serait-ce qu’une brindille ou des feuilles en dehors des périodes autorisées. Uniquement en temps de sécheresse, le prêtre célèbre un spécial « pooja » (prière ou incantation) et déclare la forêt accessible aux gens afin qu’ils s’y abritent avec leur bétail. Il faut également souligner que encore maintenant la règle de l’oran subsiste et ne permet pas aux organismes forestiers de prendre ne serait-ce qu’un brin d’herbe. Le mode de vie et la prospérité de ce désert sont dus à ces institutions. Elles ont résisté à l’épreuve du temps et de l’évolution pour devenir le symbole d’une philosophie qui n’est plus seulement un lien entre le passé et le présent mais également la base du développement durable. »