09 novembre 2009
Nouvelle

"Les indicateurs de performance améliorent-ils l’efficacité de l’aide au développement ?"

Par Ousmane Sidibé Professeur à l’Université de Bamako (Mali) Membre du Conseil scientifique de l’IEA de Nantes

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09/11/2009

Les indicateurs de performances sont de plus en plus utilisés pour mesurer l’efficacité des politiques publiques. Inspirés des techniques du benchmarking en vigueur dans le secteur privé, ils découlent de l’idée selon laquelle pour survivre dans un contexte concurrentiel, chaque pays doit continuellement éprouver son organisation par l’importation des « bonnes pratiques » en cours chez ses « concurrents » (ce que le professeur Alain Supiot appelle « la dogmatique de la compétition universelle ») . Ainsi, les pays sont classés à travers une batterie d’indicateurs quantitatifs, qui se réfèrent en réalité à une normativité implicite sous la forme de cibles à atteindre dans le cadre d’une gestion axée sur les résultats (GAR), qui impose aux « moins performants » l’amélioration continue de leurs scores. Ces indicateurs sont de plus en plus utilisés par les bailleurs de fonds pour servir de base à la fourniture de l’aide au développement dans le cadre d’un changement de stratégie des « aides Projet » vers les appuis budgétaires conformément à la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement du 2 mars 2005.
Quels sont les objectifs visés par ce type de mesures de performances ? Quelle en est la pertinence au vu des résultats sur le terrain ? Nous tenterons de répondre à ces questions à travers trois pistes d’analyse à savoir, le défi de l’appropriation de l’aide budgétaire (I), les acquis et limites de l’utilisation des indicateurs (II), et la problématique de l’autonomie des pays bénéficiaires de l’aide dans la conduite de leurs politiques (III). Nous illustrerons les analyses par des exemples tirés essentiellement du Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (CSCRP) du Mali .

I. Le défi de l’appropriation des appuis budgétaires

Les objectifs assignés aux appuis budgétaires visent à en renforcer l’efficacité par l’appropriation et la responsabilisation des gouvernements des pays bénéficiaires, ainsi que l’alignement sur les procédures nationales et la mobilisation des ressources au moindre coût. De plus, le système d’appui budgétaire est supposé permettre non seulement de décaisser des montants importants avec moins de contraintes bureaucratiques, mais aussi de renforcer la cohérence des politiques publiques des pays bénéficiaires .
Dans la pratique, on constate des avancées (A), mais aussi des marges d’amélioration (B).

A. Les avancées dans la mise en oeuvre des appuis budgétaires

Au Mali, les appuis budgétaires s’opèrent dans le cadre de l’Arrangement Cadre (appui budgétaire général) signé entre le Gouvernement et les bailleurs de fonds en mars 2006, et dans le cadre d’arrangements spécifiques dans les secteurs de l’éducation, la santé et la décentralisation/développement institutionnel (appuis budgétaires sectoriels). Ceux-ci, signés respectivement les 18 juillet 2006, 19 juillet 2006 et 11 septembre 2009, conditionnent les décaissements des financements dans les secteurs concernés à l’atteinte d’indicateurs chiffrés .
C’est dire que l’expérience malienne en la matière est récente par rapport aux pays d’Afrique australe et de l’Est (Ouganda, Tanzanie, Mozambique) qui en sont les pionniers sur le continent. Malgré ce recul insuffisant, l’expérience malienne est vue avec intérêt du fait des efforts d’alignement sur les procédures nationales (programmation de l’aide basée sur le CSCRP), mais surtout de l’appropriation et de la mobilisation des ressources mises à disposition, particulièrement celles du Fonds Européen de Développement (FED). Il y a un consensus sur le fait que le processus de gestion des aides Projet est largement contrôlé par les bailleurs de fonds. De plus, il déresponsabilise les gouvernements bénéficiaires, alourdit la mobilisation des ressources et accroît les coûts de transactions.
En revanche, si on met de côté le fait que le financement à travers l’appui budgétaire est critiqué par les acteurs non étatiques, pour ce qui concerne leurs propres activités, parce qu’il passe par les procédures nationales gérées par les gouvernements , il y a un consensus pour reconnaître ses avantages, en particulier sa capacité à mobiliser le maximum de ressources et un début d’alignement sur les procédures nationales .

Toutefois, en dépit de ces avancées, il y a des marges certaines d’amélioration.

B. Des marges d’amélioration dans la mise en œuvre des appuis budgétaires

En matière d’harmonisation, s’il est vrai qu’il y a des acquis importants dans la coordination interne des bailleurs de fonds, notamment à travers les groupes thématiques, beaucoup de travail reste encore à faire par la partie nationale pour se coordonner en interne afin de fixer ses propres priorités dans un dialogue avec les bailleurs de fonds. Ceci s’explique par les faibles capacités institutionnelles des Administrations qui -il faut le dire- ne réunissent pas encore les conditions d’une gestion axée sur les résultats. A cet égard, on ne peut que regretter le fait que dans les années 1980, ces pays avaient été amenés dans le cadre des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS), à « dégraisser » de manière sévère les fonctions publiques, qui en fait étaient déjà bien maigres, et à multiplier les unités de gestion de leurs programmes, ce qui, on s’en doute, n’a pas aidé à créer un environnement institutionnel stable. Au Mali, par exemple, toute la réforme administrative pendant ces années avait comme fil conducteur « la maîtrise des structures et des effectifs », culture qui marque encore l’Administration malienne. C’est à cette période que plusieurs Cellules de Planification et Statistiques (CPS) au sein des ministères avaient été fermées, affaiblissant ainsi la capacité du pays à élaborer de bonnes politiques basées sur des statistiques sûres, toutes choses que les Gouvernements actuels, encouragés en cela par les bailleurs de fonds, sont en train de corriger en recréant ces services, qui jouent à présent un rôle central dans le renseignement des indicateurs. Malgré cela, et en dépit de l’introduction progressive des Cadres de Dépenses à Moyen Terme (CDMT), la majorité des gouvernements ne peuvent prendre des engagements fermes sur un horizon qui va au-delà du cycle budgétaire, parce que la planification et la budgétisation sont des processus distincts relevant d’administrations différentes aux intérêts souvent divergents.
Par ailleurs, si on note un début d’alignement de certains bailleurs de fonds sur les procédures nationales, la coexistence des deux types d’aide, parfois au sein des mêmes programmes, avec les mêmes bailleurs de fonds, impose aux Administrations nationales des contraintes lourdes s de rapports et compte-rendus, au détriment du temps consacré à la fourniture de services aux populations, ce qui est, somme toute, le but de cette aide.

II. Les acquis et les limites des indicateurs de performance

La gestion axée sur les résultats est centrée autour de la fixation d’objectifs aux politiques nationales et la mesure de leurs résultats. Elle intègre des principes dits de « bonne gouvernance », notamment des objectifs clairs et mesurables, une prise de décision fondée sur des données factuelles, la transparence et le progrès continu.
Les tenants de cette approche y voient le moyen d’amener les pouvoirs publics des pays en développement à rendre compte à leurs citoyens ainsi qu’aux bailleurs de fonds qui financent une partie de leurs programmes. Pour rattacher les actions entreprises aux résultats et rendre plus systématique le suivi des performances, ils établissent des chaînes de résultats à travers des cadres logiques reliant les objectifs poursuivis, les activités développées pour les atteindre, les ressources mobilisées, les résultats atteints (par rapport à ce qui était attendu) et l’impact obtenu.
C’est là qu’interviennent les fameux indicateurs qui visent à mesurer les résultats par rapport aux objectifs poursuivis. Dans les faits sont-ils pertinents ?
L’analyse de la situation sur le terrain montre qu’il y a des acquis (A), mais aussi des limites (B) dans l’utilisation des indicateurs.

A. Les acquis dans l’utilisation des indicateurs de performance

L’analyse de la situation sur le terrain montre que l’exercice revêt une certaine utilité dans la conduite des politiques publiques, en tous cas pour certains indicateurs. Il en est par exemple ainsi de plusieurs indicateurs (superficies reboisées, pourcentage de la population ayant accès à une source d’eau potable , taux de couverture vaccinale des enfants de moins de un an, taux d’accouchement assisté, taux de prévalence du VIH-SIDA, taux de déconcentration budgétaire, taux de déconcentration du personnel, etc..). Les indicateurs de déconcentration (Budget et personnel) qui mesurent l’effort des Gouvernements dans leur volonté de consacrer une part croissante du Budget d’Etat au services régionaux et subrégionaux, et d’y affecter plus de personnels (donc au plus près des populations) semblent particulièrement pertinents quand on sait qu’en 2002, au Mali, en moyenne près de 80 % du budget d’Etat était dépensé dans la capitale et en moyenne près de 50 % des fonctionnaires du pays y travaillaient . L’utilisation de ces indicateurs a amené les Gouvernements à fournir des efforts conséquents de déconcentration budgétaire au cours de ces dernières années, la déconcentration des ressources humaines apparaissant comme beaucoup plus problématique, en raison de la réticence des fonctionnaires à servir en région, particulièrement dans celles de Tombouctou, Gao et Kidal, réputées difficiles. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. On ne peut pas gérer tous les aspects des politiques publiques avec des indicateurs.

B. Les limites des indicateurs de performance

L’analyse de la situation sur le terrain montre qu’il y a des limites certaines liées aux effets pervers de certains indicateurs (1), à des difficultés d’interprétation (2) et de mesure (3) des valeurs, à la problématique d’une méthodologie harmonisée de collecte et de traitement des données (4), ainsi qu’au choix des priorités et des valeurs cibles
(5).

 

1. Les effets pervers des indicateurs de performance
Pour peu qu’on les analyse de près, on se rend bien compte que l’utilisation de plusieurs indicateurs produit des effets qui vont parfois à l’encontre des objectifs affichés. Il en est ainsi de tous les indicateurs qui visent à mesurer l’effort budgétaire en faveur de certains secteurs considérés comme prioritaires. Ainsi, s’il est vrai que les indicateurs qui mesurent la part du budget national consacrée effectivement à l’Education (25,7 % en 2008) et à la Santé (11,6 % en 2008) favorisent une concentration budgétaire accrue au niveau de ces secteurs, il n’en demeure pas moins qu’ils présentent l’inconvénient d’inciter les Administrations concernées à dépenser les enveloppes budgétaires y compris dans des activités dont la contribution à l’amélioration de la situation scolaire ou sanitaire des populations pourrait paraître discutable.

Dans le domaine de la justice, si les indicateurs relatifs au nombre de juges par habitant et au nombre d’infrastructures de justice (palais de justice, prisons, logements de magistrats, etc.) construites ou réhabilitées, donnent une idée des efforts budgétaires en faveur du secteur, il reste cependant clair qu’ils ne renseignent pas à eux seuls sur la qualité de la justice, sur son indépendance, encore moins sur le degré de satisfaction des justiciables. Il faut même dire que l’utilisation combinée de ces deux indicateurs est de nature à pousser les Gouvernements à concentrer leurs efforts sur le recrutement de magistrats et la construction de palais de justice, au détriment des questions pourtant essentielles liées à la juste rémunération des personnels judicaires et aux réformes difficiles de moralisation de l’appareil judiciaire dans son ensemble.

En plus de la question de la capacité d’absorption et de la qualité de la dépense publique relevées dans ces secteurs (ce qu’on peut qualifier de concentration budgétaire :Education, Santé), l’utilisation de cet indicateur amène chaque département ministériel à analyser son budget, non plus sous l’angle de ses besoins de fonctionnement, mais désormais en termes de pourcentage du budget national, ce qui, on le voit déjà, crée des surenchères sans fin autour des arbitrages budgétaires.
A cet égard, on observe d’ailleurs dans la dernière génération des Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), un infléchissement des priorités en faveur du secteur des infrastructures, et depuis la montée vertigineuse des prix de céréales sur le marché mondial, l’agriculture, hier encore délaissée, commence à revenir en bonne place dans les priorités. Si, en l’occurrence, on ne peut que se réjouir de cette évolution, de manière générale, le changement permanent de priorités, illustre bien la fragilité des choix lorsqu’ils ne sont pas portés par les populations concernées. La succession de réformes parfois abandonnées avant d’être abouties, très souvent en fonction de l’agenda international, sans consultation des pays intéressés, constitue une véritable source d’instabilité des politiques publiques dans les pays en développement, l’Afrique apparaissant à cet égard, comme le terrain de toutes les expérimentations.

Dans le domaine de l’éducation, s’il est vrai que les indicateurs relatifs au taux brut de scolarisation dans le 1er cycle fondamental (80 % en 2008) , et au taux d’achèvement du 1er cycle fondamental (53,3 % en 2008) , ont été des vecteurs de la scolarisation universelle, il n’en demeure pas moins que chacun d’eux a des effets pervers. En effet, au vu des pratiques sur le terrain, on peut raisonnablement penser que la volonté de relever à tous prix le taux brut de scolarisation dans le 1er cycle fondamental, amène les autorités scolaires à être moins regardantes par rapport à l’encadrement des écoles communautaires, écoles coraniques et medersas qui concourent également au relèvement de cet indicateur (à hauteur de 11 % en 2008) . C’est ce même souci qui a amené quasiment tous les pays africains depuis les années 1990 à recruter massivement des enseignants de faible qualification, avec des conséquences sérieuses sur les systèmes éducatifs, surtout du fait que la plupart de ces enseignants non professionnels ont le plus grand mal à acquérir la déontologie du métier. Mais le paradoxe de cette situation réside dans le fait que ce sont bien les conditions d’application des programmes d’ajustement structurel qui avaient amené les autorités de certains pays, notamment le Mali, à fermer la plupart des écoles de formation d’enseignants et à conduire un programme de départs volontaires des fonctionnaires en retraite anticipée dans les années 1980, créant du coup une pénurie de personnel qualifié dans le secteur de l’éducation . Lorsque dans les années 1990, la priorité avait été accordée aux secteurs sociaux, non seulement il n’y avait plus suffisamment d’enseignants professionnels disponibles sur le marché du travail, mais encore, on encourageait le recrutement de personnels contractuels sous payés. De plus, dans un souci de contrôle de la masse salariale, dans de très nombreux pays africains on faisait fonctionner des classes avec des sureffectifs de plus de 100 élèves, ou avec des systèmes dits de double division et de double vacation . Aujourd’hui, les conséquences de ces politiques contradictoires sur la qualité de l’enseignement sont telles partout en Afrique qu’il y’a lieu de questionner à nouveau ces politiques dans le souci d’un minimum de cohérence. Les projections nous annoncent des effectifs de l’ordre de 180 000 étudiants pour l’université de Bamako en 2015, alors que l’enseignement supérieur n’est en aucune façon dans les priorités suivies par des indicateurs !!!

C’est aussi l’utilisation du taux d’achèvement dans le 1er cycle fondamental qui a amené le Ministère de l’Education à donner des directives aux écoles pour permettre au maximum d’élèves de passer dans les classes supérieures afin de terminer ce cycle même lorsqu’ils étaient très en dessous du niveau pédagogique nécessaire, ce qui pour de nombreux observateurs constitue une des grandes faiblesses du système éducatif malien.

 

 

2. Le défi de l’interprétation des indicateurs

Par ailleurs, il convient de manier avec précaution certains indicateurs, qu’il faut analyser en croisant parfois avec d’autres données. Ainsi, même si le ratio Elève/Maître du 1er cycle fondamental, est pertinent dans le principe, en ce qu’il donne une indication sur le niveau d’encadrement des élèves, il n’en demeure pas moins qu’il faut le relativiser dans la mesure où dans les écoles qui concentrent le maximum d’enseignants (en fait dans les villes), de nombreux enseignants sont utilisés plus dans l’Administration scolaire qu’en classe, ou sont en sureffectifs. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que cet indicateur ne soit pas renseigné dans les rapports sur la mise en œuvre du CSCRP.

Dans le domaine de la santé, l’indicateur relatif au pourcentage de la population vivant dans un rayon de 5 km autour d’un centre de santé fonctionnel (58,2 % en 2008) ne suffit pas pour renseigner sur l’accessibilité réelle des soins de santé. On sait en effet que du fait de l’indigence des centres en médicaments, et souvent en personnel sanitaire (dès qu’on s’éloigne des grandes villes), les populations ne voient qu’un intérêt très relatif à les fréquenter, préférant, notamment pour les plus démunis, recourir à la médecine traditionnelle (là où il reste encore des arbres !), ou pire aller vers « les pharmaciens ambulants », véritables charlatans qui prescrivent des médicaments contrefaits. Il ressort en effet du Rapport de mise en œuvre du CSRP en 2007 aussi bien qu’en 2008 qu’à peine un habitant sur trois a fréquenté un centre de santé , alors même qu’il est rare qu’une personne vivant au Mali n’ait pas au moins une fois dans l’année des problèmes de santé, surtout de paludisme, maladie qui y sévit à l’état endémique. En vérité, en matière de santé, dans les pays en développement qui ne disposent pas d’un régime d’assurance maladie obligatoire, avec des populations démunies dans leur majorité (indice de pauvreté humaine de 56,4 % en 2008 au Mali), le vrai défi demeure l’accessibilité économique.

3. Les difficultés de mesure des indicateurs

Bien que pertinents, certains indicateurs sont difficilement mesurables. Il s’agit par exemple dans le domaine de la sécurité sociale, du pourcentage de population couverte par les mutuelles, et de celui des personnes démunies prises en charge médicalement. C’est une réelle préoccupation dans la mesure où les mécanismes traditionnels de protection sociale sont en voie d’affaiblissement, et de ce fait jouent de moins en moins le rôle d’amortisseur social pour les plus pauvres. Cependant, il est difficile de rassembler des informations fiables sur les mutuelles, leurs adhérents, et la réalité des prestations servies du fait qu’il s’agit du secteur informel qui évolue dans un cadre légal et institutionnel inadapté. Dans un tel contexte, comment construire un nouveau contrat social imposant des obligations réciproques aux familles, aux communautés, aux collectivités locales, à la société civile et à l’Etat pour garantir l’accès effectif des plus pauvres au droit à la protection sociale ? Quels efforts de concertation, de rapprochement et d’ouverture entre les acteurs pour rénover les approches et moyens d’action face aux réalités du secteur ? Ce sont là autant de questions auxquelles les indicateurs ne permettent pas de répondre.
4. Les risques liés à la comparabilité internationale des indicateurs
Les sources d’information reposent sur des méthodologies dont la comparabilité internationale (ce qui est sous jacent dans le choix de ces indicateurs) est parfois loin d’être assurée. Ainsi, le Rapport 2008 de mise en œuvre du CSCRP indique un taux de chômage de 7,7 % , ce qui ne manque pas de surprendre, si on le compare avec la situation des pays industrialisés. Mais quand on sait que ce chiffre prend en compte les individus en âge de travailler répondant simultanément aux deux conditions suivantes (ne pas avoir eu d’activité économique au cours de la période de référence ou n’avoir pas gardé de lien formel avec un emploi et être disponible pour occuper un emploi), on comprend qu’il cache un sous emploi massif de plus de 80 % dans la plupart des pays africains. La grande majorité des personnes considérées comme non touchées par le chômage sont en effet en activité dans l’agriculture traditionnelle ou le secteur informel et ne travaillent que quelques mois dans l’année. En réalité l’expansion de l’économie informelle est l’une des mutations les plus significatives du marché du travail en Afrique au cours de ces deux dernières décennies. La structure de l’emploi s’est en effet considérablement transformée par un déplacement des dynamiques d’emploi du secteur formel vers le secteur informel, qui est ainsi devenue l’éponge de la main-d’œuvre urbaine. La faculté d’adaptation aux réalités du marché du travail et la facilité d’accès et de sortie l’ont rendu attractif pour les entrepreneurs notamment vis à vis des groupes sensibles, en particulier des femmes.

5. Un consensus difficile à construire autour des indicateurs

L’une des difficultés de la gestion orientée vers les résultats, est certainement la définition d’objectifs pertinents et légitimes. Le consensus en cette matière est un véritable défi, en raison de la difficulté de définir des priorités. Si pour une entreprise, un consensus peut être obtenu sans trop de difficultés sur le choix des objectifs (réduction des coûts, productivité, profit, etc.), la question est beaucoup plus ardue en ce qui concerne les politiques publiques. Parce que les buts visés par les politiques publiques sont multiples et souvent contradictoires, un même problème pouvant être résolu de diverses manières, l’obtention d’un consensus peut être extrêmement laborieuse.
Par ailleurs, si dans l’esprit de la déclaration de Paris, les indicateurs doivent être choisis dans les matrices des DSRP ou dans les cadres logiques des programmes sectoriels, dans les faits, force est de reconnaître le poids des bailleurs de fonds dans le processus, dans le choix de certains indicateurs et la fixation des valeurs cibles. Ces propos d’un représentant des bailleurs de fonds illustrent bien la situation : «Le Gouvernement malien conduit l’avion ; nous nous assurons qu’il y a un bon plan de vol, que l’altitude est bien contrôlée ; si les aiguilles (du compteur) ne sont pas bonnes, nous lui en procurons de meilleures ». Cela pourrait étonner les observateurs, mais on sait que pris à la gorge, les Etats sont parfois amenés à accepter des conditionnalités difficiles, en espérant pouvoir gagner ultérieurement des marges de manœuvre. En fait, pour regagner des marges de manœuvre, le vrai enjeu aujourd’hui pour les pays en développement n’est-il pas la reconstruction de leurs capacités mises à mal par des décennies d’ajustement structurel ?

III. Renforcer l’autonomie des pays en voie de développement dans la conduite des politiques publiques

S’il est vrai que gérer les ressources publiques à bon escient et en rendre compte aux citoyens est une question de bon sens, qui légitime dans son principe la gestion orientée vers les résultats, il faut aussi se mettre d’accord sur le sens et le contenu qu’il faut donner à ce concept, car on ne pourra jamais tout quantifier. La culture du résultat non plus n’est pas la même partout. Chaque pays doit développer ses politiques publiques à partir de ses réalités propres, sans se voir imposer un modèle extérieur. Certes, un pays peut s’inspirer d’une expérience réussie ailleurs, c’est une question de bon sens dans un monde ouvert, mais ce doit être de manière volontaire et donc avec les indispensables adaptations. Il s’agit de respecter la dignité des Etats, notamment les plus fragiles d’entre eux, en leur permettant d’avoir les moyens d’une réelle autonomie dans la conduite de leurs politiques.
Ce mouvement doit être porté par les pouvoirs démocratiques jouissant d’une légitimité et d’un soutien populaire réels, avec la pleine implication de la société civile et du parlement. Car, il ne faut pas s’y méprendre, le choix des indicateurs n’est pas politiquement neutre. Dans un pays comme le Mali, héritier d’une culture ancienne, avec des édifices classés au patrimoine mondial de l’humanité dans les vieilles villes de Djenné, Tombouctou et Gao, et des milliers de manuscrits anciens, comment peut-on comprendre que dans le CSCRP il n’y ait pas d’indicateur relatif à la sauvegarde de ces trésors ?
La GAR ne doit pas être vue comme une nouvelle idéologie, ou un outil entre les mains de quelques technocrates, qui décideraient de ce qui est bon pour tout le monde, et de ce fait imposeraient des changements à la société. Elle ne peut être légitime qu’en tant que démarche inclusive pour soutenir la nation dans la recherche concertée d’une utilisation optimale (intelligente, équilibrée et juste) des ressources publiques. Dans un système de bonne politique publique, les indicateurs doivent être destinés d’abord à la mise en œuvre des politiques nationales, et secondairement à récompenser les réalisations dans le cadre d’une gestion concertée de l’aide.
Dans cette démarche, les élus, les parlements, ainsi que les citoyens organisés en associations doivent prendre toute leur place. Pour que les populations s’approprient ce débat, il faut une information correcte sur ces enjeux, des espaces d’expression libre, et une prise en compte raisonnable des différentes opinions, notamment celles des groupes les plus faibles.