07 décembre 2010
Publication

"Le chemin du rite. Autour de l’oeuvre de Michel Cartry"

Revue Incidence n°6, octobre 2010 avec la contribution notamment de Danouta Liberski-Bagnoud, ethnologue, chargée de recherche au CNRS, membre du Conseil scientifique de l’IEA de Nantes

« Le chemin du rite. Autour de l’œuvre de Michel Cartry » est un hommage rendu à l’ethnologue africaniste disparu le 18 août 2008. Le volume rassemble plusieurs de ses textes ¬- des inédits, en majorité - et les contributions et témoignages de ses collègues et amis qui, se nourrissant de ces écrits là en particulier, ou d’autres plus connus, ont emprunté les chemins de pensée qu’il avait explorés, les retracent, parfois les prolongent, toujours disent les apports essentiels de sa recherche à l’ethnologie. Initiateur, avec Luc de Heusch, de l’étude des systèmes de pensée d’Afrique noire, Michel Cartry avait pour projet de fond non pas la reconstitution d’un ordre social ancien (les sociétés dont l’ethnologue est le témoin sont à la fois extraordinairement vivantes, et à jamais décapitées), mais la restitution de catégories de pensée, telles qu’on peut les saisir, à travers la langue, dans l’activité cérémonielle d’une société donnée.
A l’opposé d’un relativisme culturel qui prône l’indifférence (et, sous ce masque, renonce - et dit ainsi son impuissance - à penser l’altérité), Michel Cartry n’a eu de cesse de débusquer ce qui, en nos propres cadres de pensée d’occidentaux, sujets de la science, nous barre l’accès à la compréhension de ce que Marcel Mauss appelait des versions différentes du concept du monde. Repérer les présupposés métaphysiques que tout ethnologue emporte avec lui, avec ses mots, sur son terrain, est la condition indispensable pour réussir à entendre quelque chose de la logique à l’œuvre dans les faits que l’on cherche à étudier, quelle qu’en soit la nature (religieuse, sociale, politique, économique). Cette vigilance philosophique, qui ne fut jamais prise en défaut, est à mille lieux de la posture intellectuelle radicale, plus confortable, qui a envahi le champ des sciences humaines et sociales, et qui dénonce et déconstruit, sans autre but que celui d’exercer sur la pensée du moment un nouveau pouvoir de censure. La conscience aiguë qu’il avait du caractère normatif de la langue a fondé sa méthode, nourrie par une interrogation fondamentale à propos de l’acte d’écrire la parole de l’autre, et en particulier, celle, singulière, qui s’énonce en situation de rite. Paroles singulières que les énoncés rituels, car elles entretiennent, par définition, des rapports complexes avec le geste, cet autre versant de l’acte rituel qui participe au sens général de l’acte. Plus malaisés à se laisser transformer en texte, les gestes du rite en leurs liens avec la parole posent à l’observateur qui entreprend d’en rendre compte de redoutables questions. Sceptique sur les prétentions de l’anthropologie à la modélisation (et critique sur les effets que cela induit), Michel Cartry aura œuvré à faire entendre que la seule description d’un rite pose des problèmes théoriques plus importants que l’interprétation même du rite.

Danouta Liberski-Bagnoud