09 novembre 2009
Nouvelle

"L’effondrement du Parti libéral-démocrate et le retour du Politique au Japon"

Par Osamu Nishitani, Philosophe, Professeur à l’Université des langues étrangères de Tokyo (Japon), membre correspondant de l’IEA de Nantes. Article paru dans « Sekai [Le Monde] », n° 797, novembre 2009 Traduit du japonais par Matthieu Forlodou.


"Le changement"


Au lendemain des élections législatives, j’ai de manière inattendue reçu un mail d’un ami français me demandant mon avis. Cette année, à partir du mois de janvier, j’ai passé six mois en France à l’Institut d’études avancées de Nantes. Au cours de cette période, nous avons discuté du Japon, notamment en février, lorsque le ministre japonais des Finances s’est présenté en état d’ébriété à une conférence de presse du G7 qui se tenait à Rome, et en juin, lorsque des pluies de têtards se sont abattues sur la préfecture d’Ishikawa. En cette période de vacillement du monde, la présence du Japon sur la scène internationale était plutôt dérisoire. Á l’exception des histoires futiles, aucune nouvelle ne nous parvenait. Néanmoins, les résultats des dernières élections paraissent avoir attiré un peu l’attention. Le mail de mon ami avait même pour titre : « Un changement historique ? ». L’alternance politique s’est produite dans un pays qui, chose assez rare parmi les pays développés, a connu pendant près de soixante ans la domination d’un seul parti (d’ailleurs on ne sait pas très bien s’il s’agit d’un pays démocratique ou monarchique). Il s’agit certainement d’un évènement insolite (d’un changement ?) au point que les pluies de têtards en devaient être le signe prémonitoire, bien qu’il n’ait pas attiré autant l’attention que l’élection d’Obama.

Cela dit, les résultats des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard. On avait rapporté les prédictions, faites avant les élections, d’une victoire écrasante du Parti démocratique du Japon (PDJ), et on avait en partie jasé sur les répliques qui s’en suivraient. Or, Les résultats sont à peu près conformes aux enquêtes d’opinion. Il ne s’agit pas d’un suffrage flottant au sens où il aurait été déterminé au regard des circonstances. D’ailleurs, le taux de participation même était élevé. Cela montre que l’intention des électeurs était claire et précise. C’est l’originalité des dernières élections. Le suffrage n’est pas le produit d’une distribution des voix sous l’effet d’un "vent" qu’on aurait fait souffler. Ce sont des élections qui font apparaître de manière évidente une réalité qui, jusqu’à maintenant, gagnait du terrain sans prendre une forme bien précise.

Selon les résultats, le Parti libéral-démocrate (PLD) a chuté jusqu’à ne représenter plus que 40% des voies qu’il possédait avant les élections. Il s’agit d’une sévère défaite qu’on ne peut même pas qualifier d’« historique ». Il est possible que cette situation ait été amplifiée dans les circonscriptions où le vote a lieu au scrutin uninominal majoritaire. Mais ce qui est advenu est évident : c’est la ruine du PLD. Bien évidemment elle ne date pas d’aujourd’hui. Comme l’a dit pertinemment SUGA Yoshihide (responsable de l’élection du PLD), la date de péremption du Parti libéral-démocrate était arrivée à échéance dès le gouvernement Koizumi, bien que, avec les trois changements de premier ministre, elle ait été sans cesse repoussée jusqu’aux dernières élections qui ont simplement rendu évident aux yeux de tous l’incapacité d’empêcher dès cette époque l’effondrement du parti. Pendant ces dix années, la situation a été maquillée comme pour la faire exactement coïncider avec l’essor et la chute du système financier américain. En somme, le PLD a couvert son évidement substantiel à l’aide d’un "prêt à haut risque" (subprime loan) en comptant sur le "crédit" fourni par le Komeitô (parti bouddhiste) avec qui il partageait le pouvoir, et par l’émission excessive de produits dérivés, telles que les programmes visant la mise en place de "réformes structurales" (Koizumi) ou l’édification d’un "beau pays" (Abé). Mais la bulle, qui n’était déjà plus qu’un épisode de "dessin animé" (Aso), finit par exploser. Et, avec les élections, la faillite du système apparut définitivement au grand jour.


Qu’est-ce qu’était le Parti libéral-démocrate ?


La signification de l’effondrement du PLD est tout compte fait bien évidente. Le Japon finit enfin par faire franchement face à la nouvelle situation politique, libérée des chaînes de la seconde guerre mondiale (la guerre du Pacifique) et de la guerre froide. En effet, le PLD, qui a conservé le pouvoir dans le Japon d’après-guerre, est né du compromis passé par les garants de ces deux guerres. Un sens historique a été attribué au PLD. Il s’agit d’un parti politique qui a été créé dans le but de permettre aux forces politiques, liées au système d’avant-guerre, de continuer de gouverner le Japon sans grands changements, tout en se donnant au vainqueur américain et en s’adaptant au nouveau contexte de la guerre froide.

Le PLD a puisé principalement à deux sources. D’une part, les forces qui souhaitaient la renaissance à brève échéance de l’étatisme militaire qu’elles avaient activement porté, par la conservation, malgré la défaite, des fondements politiques du Japon d’avant-guerre. D’autre part, les forces qui souhaitaient la reconstruction économique, et rester fidèles au mouvement de coopération internationale d’avant-guerre tout en se soumettant aux États-Unis.

Les premières assuraient leur position en se soumettant au vainqueur et occupant américain (ce que résume l’expression : « sortir de la prison de Sugamo en coopérant avec la CIA »). Mais elles cherchaient également le réarmement du Japon en tirant parti de la guerre froide et en se chargeant d’une partie de la sphère américaine anti-communiste. Cette ligne de conduite, incarnée par Kishi Nobusuke (dont on connaît désormais les dossiers que conservait la CIA), a été perpétuée par l’aile droite du PLD. Pour les autres, les pressions en faveur d’une remilitarisation en contexte de guerre froide n’étaient guère souhaitables dans la mesure où elles pesaient sur le renouveau économique et social. Mais, comme elles visaient la reconstruction et le développement du Japon et cherchaient à se placer sous la protection américaine, ces pressions devaient finalement être accueillies de manière plutôt conciliante. Il s’agit là de la ligne de conduite qui passa de Yoshida Shigeru à Ikeda Hayato, puis vers Ôhira et Miyazawa (le clan conservateur Kôchikai).

Cet état des choses eut certainement pour origine l’entretien entre Ikeda et Robertson qui s’était tenu l’année qui a suivi l’entrée en vigueur du traité de San Francisco. Lors de cette entrevue, les participants fixèrent les principes du traité de sécurité américano-japonais et du stationnement des troupes américaines au Japon, et décidèrent des orientations, conditions préalables à l’aide économique des États-Unis, tendant à faire supprimer de la Constitution le principe de renoncement à la guerre et à faire réformer la loi fondamentale sur l’éducation, jugée trop démocratique et pacifiste. La réforme de la Constitution et la modification de la loi fondamentale sur l’éduction étaient des exigences voulues par les États-Unis, mais Ikeda, soutenu par Miyazawa lors de cette entrevue, a esquivé les revendications hâtives des Américains en ne produisant qu’une lettre d’intention. Cependant, après ces accords, l’union des deux forces conservatrices fut conclue sous la conduite de la CIA (récemment révélée par l’étude des dossiers tenus à l’époque par la CIA), dans l’intention de stabiliser la politique japonaise en période de guerre froide en face d’une gauche qui gagnait en influence.

La physionomie du PLD d’alors est également en lien avec l’attitude adoptée par Hirohito, l’empereur Shôwa. Après la défaite, l’empereur choisit le chemin de la pérennité en se plaçant sous l’aile du Général Mac Arthur. Si, au plan mondial, il est possible de ranger Hitler, Mussolini et Hirohito sous une même étiquette, seul Hirohito échappa aux poursuites engagées en vue de reconnaître les responsabilités dans la guerre. Certes, des voix discordantes s’élevèrent à l’occasion des débats sur les responsabilités de guerre (cf. l’opinion du juge indien Radhabinod Pal), et l’empereur Shôwa ne pouvait être tenu seul responsable de la défaite militaire. Mais nul autre que lui n’aurait dû être tenu responsable au niveau international, dans la mesure où il était le chef de l’État, détenteur véritable de « l’autorité du commandement suprême des armées ». Le PLD enserra également dans ses flancs les continuités et discontinuités du Japon moderne qu’incarnait cet empereur qui régna pendant une longue période de 64 ans. De la même manière que cet homme (appellation peu adéquate pour celui qui était qualifié de dieu jusqu’à la fin de la guerre) endossa les deux images que sont, d’une part, le portrait (d’avant-guerre) d’un empereur enfourchant un cheval blanc, figure idéale de l’aile droite du parti et, d’autre part, le rôle de protecteur des cultures (d’après-guerre) autrement dit le pacifiste se livrant à l’étude de la botanique, symbole des partisans de la reconstruction économique ; le PLD réunit les deux courants conservateurs du Japon d’après-guerre autour de l’axe que formait la « relation étroite » (dit de manière plus directe, la « subordination ») avec les États-Unis.

Pour ces raisons, le Japon a maintenu au pouvoir, pendant plus de 50 ans, un parti qui avait hissé la réforme constitutionnelle (c’est-à-dire la remilitarisation) au rang de ses principes fondamentaux ; en somme, un parti qui ne souhaitait pas respecter la constitution. Cette "torsion" était certes interne au Japon. Mais, imposée dans les relations internationales comme une « exigence des États-Unis », elle était aussi la cause dans la communauté internationale de la défiance et de la suspicion tenues à l’encontre du Japon. Les partisans de la réforme constitutionnelle soutenaient qu’ils leur fallaient « abolir la constitution qui est imposée, et en établir une de façon autonome ». Mais, en fait, il s’agissait là d’une exigence imposée par les Américains au PLD. L’aile droite japonaise, bien que cela paraisse étrange, semblait être entièrement convaincue qu’« il n’y a pas d’État sans subordination aux États-Unis ». Cette attitude n’était pas totalement incohérente avec "l’anticommunisme" qui sévissait pendant la guerre froide. Mais à partir des années 90, une telle attitude n’était plus du tout tenable.


Le vide programmatique du Parti libéral-démocrate et le gouvernement Koizumi


Dans une telle perspective, le rôle historique du PLD s’acheva effectivement avec la fin de la guerre froide et la mort de l’empereur Shôwa. En fait, l’effondrement du Parti libéral-démocrate était déjà entamé au début des années 90 sous le poids des effets pernicieux (querelles de clan, malversations financières, etc.) inhérents à un pouvoir conservé pendant longtemps. Mais ce qui lui a permit de survivre à la crise, ce fut l’incroyable bidouillage qu’a été la coalition avec le Parti socialiste (Shakaitô). En commettant par là la « trahison historique », le Parti socialiste ne mit pas seulement un terme à sa propre vie, il propagea également la désaffection à l’encontre de la politique en tournant en ridicule le fait d’adhérer à des convictions, « Convictions sans lesquelles rien ne bâtit ». Par ailleurs, dans le contexte mouvant de "la fin des idéologies" dans l’après-guerre froide, le PLD ne conserva son statut de parti de gouvernement que grâce aux "coalitions" successives (nous ne revenons pas ici sur les détails de l’histoire de ces enchevêtrements). Et c’est seulement pour cette raison que le PLD de l’époque est devenu le PLD d’aujourd’hui. La guerre électorale menée par le cabinet Aso, qui insistait sur sa "responsabilité", annonçait cette issue tragi-comique. Cela témoignait seulement de la désagrégation radicale du sentiment de responsabilité par ceux qui, abstraction faite du vide tautologique selon lequel seul le parti effectivement au pouvoir peut se voir confier le pouvoir, n’avaient même pas conscience que malgré tout le PLD ne cessait de tenir le pouvoir.

Une telle perte de consistance par le PLD a été encouragée par le Komeitô qui, ne cherchant qu’à se placer sous la protection du pouvoir, en était venu à insister uniquement sur le "gain de résultat". Grâce à la coalition passée avec le Komeitô, semblable à « Kaonashi » (le "Sans-Visage" du Voyage de Chihiro), le PLD vidé a survécu comme parti au pouvoir dans un Japon, alors qu’il perdait ses attaches avec le contexte international et historique.

Dès lors, qu’était ce gouvernement Koizumi dont l’ardeur avait été saluée ? Le gouvernement Koizumi a été formé lors des premières élections d’investiture par l’ensemble des membres du parti (système adopté pour permettre au parti de regagner en popularité), après que Hashimoto Ryûtarô, produit de la faction conservatrice, ait été délaissé contre toute attente. Koizumi s’est fait remarqué par son slogan bien connu : « Je démolirai le Parti libéral-démocrate ». L’appel lancé par ce slogan met en évidence qu’à ce moment le PLD avait déjà perdu ses soutiens traditionnels (la grande majorité conservatrice).

Le gouvernement Koizumi semblait puissant parce qu’il manifestait un "pouvoir de direction" en mettant activement en scène l’initiative gouvernementale, mais aussi parce qu’il rejoignait complètement la ligne de conduite de Georges Bush, président des États-Unis qui dominaient seules dans la mondialisation. Sa politique intérieure en faveur des "réformes structurelles" et sa diplomatie axée sur "la lutte contre le terrorisme" mettaient directement en application les « résolutions annuelles », adressées au Japon par le gouvernement américain depuis la présidence Clinton, pour que la société japonaise soit réformée de manière à ce qu’elle contribue au maximum à leur système économique et politique. Mais, cette "subordination aux États-Unis", au moyen de laquelle il s’agissait bien de « liquider le pays », donnait de façon perverse l’image d’un "pouvoir puissant de direction". Sans doute, Koizumi était plus épris de rodéos et d’Elvis Presley qu’il ne l’était du projet de coopération stratégique avec les États-Unis tel qu’il avait été établi à la défaite par les deux courants du PLD d’alors. Même l’habitude qu’il avait de visiter le sanctuaire Yasukuni, où sont honorées les « âmes déifiées » des kamikazes, n’est pas en mesure de faire ressentir des "convictions" typiques de "l’idéalisme" d’un Kishi (au sens de l’idéalisme des néoconservateurs américains). En ce sens, Koizumi est plutôt le simple « Yankee de Yokosuka », ville accueillant une base américaine, qu’il n’est membre de la "droite" traditionnelle. Et c’est cela qui était "nouveau".

Koizumi, en fabriquant un "ennemi" (« les conservateurs ») au sein du PLD et en créant inversement une force d’attraction vers "PLD de Koizumi", a réussi à rassembler entre ses mains les suffrages de tous ceux qui étaient dégoutés de la politique du PLD. Grâce au vote de la loi sur la Poste - "libération" de l’épargne des Japonais au profit de la bulle spéculative américaine, qui n’est rien de moins qu’une "privatisation" répondant aux exigences posées par le gouvernement américain -, le PLD de Koizumi s’est orné d’une "victoire historique", et a inévitablement fait reculé « les conservateurs ». Cela a assurément sonné le glas de l’ancien PLD. Cependant, le "nouveau PLD" n’avait plus de signification historique et, à l’exception du fait qu’il s’appuyait simplement par inertie sur "l’alliance américano-japonaise", et qu’il s’en remettait aux États-Unis tant pour sa politique intérieur que sa diplomatie, il venait de perdre toute réalité politique. Le cabinet Koizumi a conduit une telle politique en la présentant comme un choix positif, autrement dit comme "réforme structurelle" de la société japonaise pour l’adapter à la mondialisation.


Le rôle historique du Parti démocratique du Japon


L’idée d’alternance politique au Japon évoquait par le passé un changement à la tête du PLD. En raison de la pérennisation au pouvoir du seul PLD, la gestion de la société japonaise fut indissolublement liée aux cloisons montées par le PLD (ne faudrait-il pas dire la politique ?). C’est pourquoi on peut affirmer que le PLD était pratiquement maître du "domaine public" de la société japonaise. Il s’agissait d’une structure dont on peut dire qu’elle agglutinait la politique, l’administration et le peuple (les affaires). Mais inversement, on ne peut dire qu’elle formait un circuit complètement fermé puisant dans l’inertie conservatrice du peuple qui ne la rattachait pas nécessairement à une idéologie. Toutefois, le PLD négligea d’engager sa mue alors que son rôle historique prenait fin, et, avec l’avènement du gouvernement Koizumi, il sapait finalement ses fondements populaires.

Avec les dernières élections, une véritable "alternance politique" entre partis s’est pour la première fois produite. Du point de vue de sa composition, le PDJ était assurément un « rassemblement hétéroclite » pendant ses premiers temps. Toutefois, ce parti est résolument neuf. Les contraintes historiques auxquelles était enchaîné le PLD ne pèsent pas sur lui. Malgré des liens familiaux qui le lient à un grand-père ayant été le premier secrétaire général du PLD, Hatoyama, qui a obtenu un doctorat en ingénierie à l’Université de Stanford, n’est pas lui-même du genre des hommes politiques qui étaient jusqu’à alors influents. Ce n’est pas tout, au cours des années 90, dans la première mouvance réformiste de la politique, il quitta le PLD et devint une figure centrale du Nouveau Parti pionnier (Shintô sakigake). Á cette même époque, Ôzawa Ichirô avait lui formé le Parti du Renouveau (Shinseitô). Mais, dans ce moment de formation et de dissolution des partis divisés, il décida de se ranger aux côtés de Hatoyama. Ce qui est capital dans le PDJ, parti qu’ont formé des hommes politiques qui cherchaient à réformer les structures politiques du Japon dans les années 90 post-guerre froide, c’est qu’il n’est pas fondamentalement brider par des entraves, tels que l’enchaînement à la guerre du Pacifique ou encore l’immobilisation américaine pendant la guerre froide. L’alternance politique était nécessaire parce que, sans elle, les structures politiques formées par le PLD n’auraient pas enfin été démolies, et la Politique conforme à la nouvelle situation internationale n’aurait pas pris naissance dans la société japonaise. En ce sens, on peut dire que la prise de pouvoir par le PDJ est un événement qui fera date en ce qui concerne la politique au Japon. Pour la première fois, est formé un gouvernement qui, déliés des entraves des deux guerres, a l’intention de répondre au contexte mondiale actuel. Á partir de là, « la Politique » est amorcée.

Ce n’est pas quelque chose qui était attendue du PDJ. Mais plutôt, il s’agit d’un rôle qui a été assigné au PDJ. La mission historique du parti, qui endosse à partir d’aujourd’hui le pouvoir, est de mettre en mouvement « la Politique » appliquée à l’intérieur du pays comme à l’extérieur ; « Politique » japonaise qui avait été complètement vidée, à la manière d’une sculpture en papier mâché, par le prolongement de la vie du PLD. Dans le même temps, est également opérée la rupture avec l’économisme de type américain ou encore la régulation néolibérale, qui avaient fait renoncer à la Politique en abandonnant tout au marché à la mesure des exhortations des hérauts de la mondialisation. Le PLD de Koizumi avait initié, par ce qu’il nomma « réformes structurelles », « l’évidement de la politique », qui permit de solder les comptes grâce à la « dissolution de la politique » sous l’effet du placement opéré dans le marché. C’est pour cela que la société, laissée à l’abandon, a exigé le retour du Politique. C’est ce qu’attestent les dernières élections.

Depuis les "coalitions", le PLD a perdu sa raison d’être hormis celle de conserver le pouvoir, en conséquence de quoi il chargea l’administration d’accomplir effectivement les actes de gouvernement. Dès lors, n’importe quelle « réforme » jugée nécessaire avait conduit à garantir les droits et les intérêts des fonctionnaires qui soldèrent les hommes politiques en manque de principes. Cette relation doit également changer. En d’autres termes, pour faire de la Politique qui porte ses fruits, les fonctionnaires doivent en revenir à leur rôle.

Bien sûr, de nombreuses difficultés sont prévisibles. Les assises internes du PDJ sont quelque soit leur étendue probablement incertaines. Seulement, pendant les quatre années depuis la réforme de la Poste, il y eut bien sûr d’énormes retards (voire un recul) dans la société japonaise. Néanmoins, on peut signaler que le PDJ a pendant ce laps de temps gagné progressivement en maturité, et qu’il eut le temps de se préparer sérieusement à la réalité de « l’alternance politique » depuis sa victoire l’année passé aux élections à la chambre haute.


Les sources du « désordre »


Le « désordre » qui accompagne l’alternance politique a été diversement commenté. Or, en réalité, il s’agit pour tous d’un fait nouveau qui oblige, avec audace (à défaut le changement n’a pas d’effet) mais aussi avec prudence, à tout réorganiser à tâtons. On a aussi laissé entendre que l’alternance politique ne s’est pas accompagnée d’un « sentiment d’exaltation ». Mais, les dernières élections, dont le taux de participation était élevé, témoignent du souhait de nombreux électeurs au changement politique, quand bien même plus ou moins de désordre viendrait à s’insinuer. Par conséquent, l’opinion générale a sans doute dû accueillir depuis longtemps la situation avec un certain calme. Simplement, ce sont les médias et par dessus tout les États-Unis qui n’étaient pas préparés. Il semble qu’ils ne s’étaient pas habitués au fait que le PLD ait le pouvoir, et, par l’embarras qu’ils éprouvent avec ce changement, ils trahissent leur « inadaptation ». Les journalistes qui ont rédigé des articles où ils posaient la question de savoir si les cadres du Ministères des Affaires étrangères « allaient coopérer avec le Parti démocratique du Japon », sont encore plus représentatifs. Les fonctionnaires travaillent pour le pays et non pas pour le PLD ou les ministères et leurs services détachés. Si l’administration n’acceptait pas le résultat des élections, elle commettrait un "coup d’État". Une partie des médias est à ce point troublée qu’elle va jusqu’à oublier une telle évidence.

Ensuite, une partie des hommes politiques américains ont mit en question "l’antiaméricanisme" de certains passages des discours de Hatoyama. Le porte-parole du gouvernement Obama a pu déclarer : « je ne comprends pas le sens du mot "dépendance" ». D’un côté, on considère comme évidente la soumission du Japon vis-à-vis de l’Amérique. D’un autre côté, l’Amérique réclame par de tels propos la « soumission » du Japon qui est connue du monde entier (par conséquent, le Japon ne peut, autant que cela soit souhaitable, devenir membre permanent de l’ONU), et exige à mots couverts comme par habitude cette « soumission ». Seules les États-Unis auraient le droit au "changement", alors qu’il ne s’agirait pour le Japon que d’un effet de la politique du gouvernement américain. Ou alors, il s’agit d’une annonce par laquelle les États-Unis informent implicitement que rien ne changera malgré l’alternance à la tête du Japon. Les médias japonais s’en sont plutôt saisi en se demandant si une affaire grave avait eu lieu, et ont seulement diffusé l’avertissement adressé d’un ton grave par le leader du PLD selon lequel « il ne faut pas irriter les Américains ». Cependant, alors que se propageait le symptôme d’"inaptitude", de nature à simplement amplifier le « désordre », ils ont rapporté que Hatoyama, tout juste élu, avait répondu au président Obama lors d’un entretien téléphonique : « grâce à vous le Japon a lui aussi changé ». Il s’agit certainement d’une réponse pertinente, sans précédent de la part d’un homme politique japonais en charge du pouvoir. Plutôt que de chercher à le ménager par "compassion", il l’invite à le comprendre en exprimant avec subtilité son propre point de vue. Une telle réaction, en définitive, fait renaître la confiance de la communauté internationale vis-à-vis de « la Politique » japonaise.
On s’est également beaucoup moqué de l’idée de « fraternité » que Hatoyama avait lancée dans ses discours. Mais si on la compare à l’idée creuse de « beau pays » par exemple, elle est riche de sens dans la mesure où elle est en plein accord avec la conjoncture politique et le contexte mondial. Bien qu’on puisse émettre quelques réserves sur ce point hérité de son grand-père, le fait, pour un leader politique de rendre public des idées politiques qu’il se donne à lui-même comme lignes de conduite, doit être considéré comme particulièrement significatif en cette époque de "fin des idéologies" (époque où il est jugé bon avant tout de s’en remettre entièrement à l’économie).

Les murs auxquels doit s’attaquer la nouvelle politique sont épais et nombreux. Les médias, qui ont la vue courte, exploitent les informations du genre de celles qui portent sur le partage des postes ministériels ou encore sur le « règne d’Ozawa ». Il s’agit là de feuilletons "politiques" emblématiques de l’époque PLD. Or, la tâche du PDJ est de trouver la voie pour restaurer « la Politique » qui avait été vidée de son contenu ces vingt dernières années, sinon plus. Et notre devoir est de s’assurer de la direction et du contenu de cette « Politique ». Il faudra ensuite la diffuser à travers le monde qui nous considérait d’un air méfiant et aujourd’hui avec un peu d’étonnement. La tâche de la politique intérieure est tout aussi vaste, mais ce que montre la manière par laquelle ce problème est envisagé c’est qu’elle est, telle quelle, en lien direct avec la contribution japonaise versée au profit du monde et avec l’estime du monde porté à l’encontre du Japon. Le monde aujourd’hui fait face à la tâche historique et globale de revisiter entièrement les principes de la société industrielle et le mythe de la "croissance" économique, sans se restreindre au seul système financier.

En guise de remarque finale, j’ajouterai que la réalisation du « bipartisme » au Japon dépend de la direction que prendra dorénavant le cours des choses. C’est-à-dire, pour que le PLD, qui est de fait en complète débâcle, puisse devenir le deuxième pôle de ce système, il est nécessaire qu’il entreprenne la rénovation de ses fondements. Le PLD doit réexaminer radicalement la question de savoir quel parti politique il est concrètement, et celle de savoir quels principes tirés de ses origines viendront prendre la relève dans le monde présent. En d’autres termes, la reconstruction de l’identité du parti est nécessaire, sans laquelle il est loisible de se demander si le PLD ne ferait pas mieux de disparaître.