12 octobre 2010
Conférence

"Catégories statistiques et normativité" Conférence de Alain Desrosières, en association avec la Maison des Sciences de l’Homme Ange-Guépin

Mardi 12 octobre 2010 à 18h, IEA de Nantes, Amphithéâtre Simone Weil, 5 allée Jacques Berque à Nantes

La tension entre les dimensions descriptives et normatives a toujours été au cœur de la statistique, tout à la fois outil de gouvernement et outil de preuve. Michel Foucault associe, dans Naissance de la biopolitique, l’émergence de la statistique, au 18ème siècle, à un souci de gouverner les populations, distinct de l’exercice pur du pouvoir souverain. Mais il n’approfondit pas cette intuition.

Au 19ème siècle, normalité et normativité sont étroitement entremêlées dans les travaux de Quetelet sur "l’homme moyen", supposé à la fois normal et idéal. L’expression de "loi normale" pour désigner la "loi de Gauss" apparaît vers 1875 chez le statisticien allemand Lexis, à propos d’une supposée "durée normale de la vie" (Canguilhem reprend ces idées dans Le normal et le pathologique). A la fin du siècle les nouveaux outils de la "biométrie" de Galton et Pearson introduisent une autre normativité, celle de la doctrine eugéniste, qui vise à "améliorer" les corps humains et à "sélectionner les meilleurs", de même qu’on "améliore" les animaux domestiques.

Au 20ème siècle, l’évolution des outils statistiques accompagne les transformations du rôle "normal" de l’Etat, les indicateurs statistiques exprimant toujours à la fois une description du monde, des buts à atteindre, et la plus ou moins grande réussite des efforts pour atteindre ces buts. Les recherches sur l’histoire de la statistique ont attiré l’attention sur les relations entre catégories statistiques et droit, dans la mesure où le droit pré-formate les objets à quantifier, en les enserrant dans la normativité qui lui est propre. Ceci est d’ailleurs une des difficultés des "comparaisons internationales" et du "benchmarking", qui sont devenus des outils majeurs de la "gouvernance" des sociétés néo-libérales, comme le montrent la "Méthode ouverte de coordination" (MOC) européenne, ou les classements comme celui de Shanghai.

 

Alain Desrosières est un spécialiste français de l’histoire des statistiques. Il est diplômé de l’École Polytechnique (Promotion 1960) et de l’ENSAE (Promotion 1965). Il est administrateur de l’INSEE, où il a été rédacteur en chef de la revue Économie et Statistique de 1973 à 1974, et chef de la division des études sociales de 1983 à 1987. Il est sociologue, statisticien et historien à l’EHESS où, après une longue période au Groupe de Sociologie Politique et Morale, il a rejoint le Centre Alexandre Koyré, centre d’histoire des sciences.
Il est l’auteur de nombreuses publications, dont La politique des grands nombres : histoire de la raison statistique (Paris, La Découverte, édition originale de 1993) qui a été traduit en plusieurs langues : l’anglais (Harvard University Press, 1998), l’espagnol (Melusina, 2004), l’allemand (Springer Verlag, 2005) et le grec (Metaichmio, 2005). L’ouvrage retrace l’histoire de la statistiques du XVIIIeme siècle avec la naissance d’une science de l’Etat d’un côté et les travaux des astronomes de l’autre aux années 1930 et la naissance de l’économétrie.

 

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