Parution du livre
12 april 2021
Publication

Parution du livre "Le fagot de ma mémoire" de Souleymane Bachir Diagne aux éditions Philippe Rey

Considéré comme l’un des penseurs importants de notre époque, Souleymane Bachir Diagne retrace dans cet ouvrage son parcours de jeune Sénégalais élevé dans la tradition d’un islam soufi et lettré, devenu philosophe et aujourd’hui professeur à l’université de Columbia. Une vie entre Saint-Louis-du-Sénégal, Ziguinchor, Dakar, Paris, Chicago, New York, lieux qui ont formé cet homme de trois continents, le rendant sensible aux richesses de chacune des cultures propres aux pays qui l’ont accueilli.

Souleymane Bachir Diagne – maintenant spécialiste de domaines aussi différents que la philosophie dans le monde islamique, l’histoire de la logique algébrique ou encore les philosophies africaines – présente les êtres qui ont été décisifs dans la construction de sa trajectoire intellectuelle. Il revient sur ses rencontres avec Louis Althusser et Jacques Derrida, ses maîtres rue d’Ulm, Jean-Toussaint Desanti, Léopold Sédar Senghor, Paulin Hountondji, Ngugi wa Thiong’o et d’autres qui l’ont fortement influencé. Le « fagot de mémoire » de cet homme qui vit entre différentes langues et cultures, chantre d’un universel de traduction, partisan d’un islam des Lumières, nous propose ici une stimulante réflexion sur notre monde qui offre tant de passerelles.

http://www.philippe-rey.fr/livre-Le_fagot_de_ma_m%C3%A9moire-491-1-1-0-1.html


 

http://glbnews.com/url.html?p=https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/souleymane-bachir-diagne-il-faut-remettre-en-chantier-l-universel-05-04-2021-2420781_1913.php

Le Point, 2/04/2021 par Valérie Marin La Meslée

En quoi la notion d’« universel latéral » de Merleau-Ponty nous serait utile pour apaiser ces querelles stériles entre universalistes et décoloniaux ?

Elle est au cœur de mon travail. La découverte de ce concept chez Merleau-Ponty a eu une importance primordiale pour moi. Mettre en chantier l’universel, c’est le redéfinir : c’est dire que l’universel est rencontre, convergence entre des cultures et des langues différentes et équivalentes dans un monde pluriel qui n’est plus simplement le monde qui doit s’ordonner autour d’un centre se définissant lui-même comme tout naturellement porteur de cet universalisme. Quand Merleau-Ponty dit que notre époque n’est plus celle d’un universel de surplomb, d’un universel vertical, il vise la signification philosophique d’un monde décolonisé, qui n’est plus ordonné par un centre européen. Un monde décolonisé, postcolonial, est un monde qu’il faut construire ensemble et partager, celui d’un universel latéral, de traduction, que j’appellerai « multilatéralisme ». 

Ce terme joue à la fois sur le concept de Merleau-Ponty, et sur le vocabulaire porté par les instances internationales mais sans son aspect un peu « Bisounours ». Il s’agit d’un mot à construire philosophiquement, comme étant précisément cette rencontre entre le latéralisme de l’universel dont parle Merleau-Ponty et la prise en compte du pluriel du monde. D’où le terme (multi)latéralisme que j’écrirais ainsi avec des parenthèses. Pour donner un exemple concret : la manière dont le monde aujourd’hui recherche ce qu’on appelle les droits de la nature, à travers les COP (Conference of Parties), est un modèle de rencontre de l’humanité autour d’une problématique commune et de la mise en chantier d’une réponse qui soit universelle. La COP21, voilà une illustration de cet universel latéral, la seule forme possible aujourd’hui. Certes, on a du travail… On l’a vu avec la vaccination, face à une épreuve qui frappe l’humanité dans son ensemble : dès qu’on a commencé à avoir des vaccins, les nationalismes et les inégalités ont repris du poil de la bête sur le dos du « bien commun ». Mais le multilatéral est un chantier sur lequel il faut qu’on s’engage. 

Pourquoi considérez-vous que l’« islamo-gauchisme » est un terme sans contenu ?

Sans doute parce que je ne le comprends pas. Cette expression ne veut rien dire. Si l’on cherche à désigner un propos qui fait l’apologie ou le lit du terrorisme islamiste, c’est ainsi qu’il faut l’appeler, de manière précise, sinon on risque de mettre dans le même panier des choses très différentes et faire « islamo-gauchisme » de tout. Dire que les universités sont devenues le repaire de l’islamo-gauchisme est une parole dangereuse, car elle autorise à accorder ce label bien vague à des questionnements et des démarches tout ce qu’il y a de nécessaires et de scientifiques. On se souviendra que le maccarthysme ne se souciait pas de précision dans ses accusations. Cela dit, il faut s’assurer que l’université reste un lieu de débat, souvenons-nous que l’université médiévale était le lieu de la disputatio où l’on mettait en scène des arguments contraires. La controverse actuelle autour de l’usage politique de ce terme a donné lieu à des tribunes éclairantes qui insistent sur le fait que le conflit caractérise la science mais sous la forme d’un débat qui ne doit pas être ramené à son degré zéro qu’est l’argument ad hominem. Pour qu’il y ait argumentation il faut en effet se garder de termes simplistes, qui interdisent l’analyse : celui d’islamo-gauchisme ne contribue pas à faire avancer la discussion, ou à défendre la science comme argumentation. 

« La question de l’identité ne s’éclaire que si on pense d’abord celle du devenir. » À quel devenir travaillez-vous ?

Je dis toujours que la fidélité est dans le mouvement, et que les actions que l’on doit mener aujourd’hui sont des actions qui sont dictées par ce que l’on projette, je suis un disciple en cela de Gaston Berger, père de la prospective. Les actions à mener doivent l’être en fonction de l’avenir que l’on veut inventer. Et j’écris cela en opposition à ceux qui ne cessent d’invoquer la tradition – « ce que nous sommes dit ce que nous allons faire, notre action est dictée par notre identité ». Je pense qu’il faut remettre du mouvement là-dedans. C’est ce que nous voulons qui doit dicter notre attitude, et cela revient à ce mot que je cite souvent, ce mot bantou de « Ubuntu » auquel Desmond Tutu et Nelson Mandela donnent une signification tout à fait nouvelle en disant : nous allons faire une commission « vérité et réconciliation », non pas comme instrument de vengeance ou de jugement, mais comme une manière de préparer l’avenir, aller vers la vérité pour construire une Afrique du Sud nouvelle. L’identité elle-même doit être embarquée pour l’avenir et non pas, surtout pas, demeurer statique.